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ANDRÉ MALRAUX Un écrivain au coeur du siècle, de Guillaume BELIN, Timée-éditions, 2006
Ces jours-ci (décembre 2009), france inter et Patrice Gélinet s'auto-congratulaient : l'émission "2000 ans d'Histoire" fêtait son 10ème anniversaire et était désignée comme "la plus podcastée" de la radio. Je me suis alors souvenu de cette émission relative à Malraux qui m'avait tant indigné ( voir Di Les ignorants). Il s'agissait, le 23 novembre 2006, de la promotion d'un livre de Guillaume Belin. Ouvrons-le donc.
C'est un petit livre de 140 pages, découpé en 50 chapitres de deux pages face-à-face agrémentées d'une photo - la collection s'appelle "Les 50 plus Belles Histoires".
Le ton est donné dès le premier chapitre : la légende, forgée par André lui-même, notamment dans les Antimémoires, veut que le grand-père paternel dunkerquois, Alphonse, soit mort, soit de suicide, soit d'accident : en s'auto-fendant la tête à la hache, ou, comme ici, avec "la tête fendue d'un coup de hache à deux tranchants, alors qu'il sculpte la figure de proue d'un navire". La réalité, plus prosaïque, est donnée dans un journal local du 20 novembre 1909 : "Hier soir, Alphonse Malraux, 76 ans, rentier... a fait une chute dans le grenier en portant des outils." Olivier Todd ajoute, p. 22 de son André Malraux une vie (2001) : "Certains marmonnent que Bon Papa avait trop bu".
Dans l'introduction du deuxième chapitre titré "Embellir toujours" on lit : "Il décide d'arrêter sa scolarité à 17 ans, alors qu'il est encore au lycée..." En fin de volume une chronologie indique pour l'année 1918 : "Malraux refuse de passer le baccalauréat". La réalité : il a renoncé à aller en classe lorsqu'il n'a pas été admis au lycée Condorcet pour la rentrée 1918. Il avait donc 16 ans. Il était élève de l'école municipale primaire supérieure Turgot du 69 de la rue Turbigo à Paris, 3ème arrdt (aujourd'hui Lycée Turgot – une plaque a été posée en 1996).
Le troisième chapitre "La première femme" traite de la rencontre avec Clara Goldschmidt et de leur mariage. "Ils ont 19 ans". La réalité : le mariage a au lieu le 21 octobre 1921. Il avait donc bien encore 19 ans, pour deux semaines. Elle, née le 22 octobre 1897, avait donc 24 ans le lendemain.
La cause semble entendue : il y a au moins une erreur par chapitre. Vérifions par un coup de sonde. Nous tombons sur le chapitre "L'Empereur de bronze", expression que François Mitterrand a trouvée si bouffonne (voir Cr Mitterrand) : "Enfin, le 2 août 1965, il rencontre Mao. L'entretien dure trois heures". Olivier Todd traite excellement du sujet, avec l'aide d'un article de Jacques Andrieu, dans son chapitre 31 "Mao, Mémoires, "Antimémoires"" (p. 479). En réalité la rencontre a eu lieu le 3 août et a duré une heure.
En fait, le livre de Guillaume Belin (on retiendra son nom) est un jeu des 77 erreurs ! L' "anticolonialisme" et la "résistance en 1943" qui m'avaient fait dresser l'oreille sont bien là, avec l'arrestation des deux demi-frères en 1943 alors qu'il s'agit de mars 1944.
L'explication à ces erreurs est dans la bibliographie en fin de volume où figurent seulement deux ouvrages à caractère biographique : le Lacouture, publié en 1973 et largement dépassé, et Rémi Kauffer, que j'ai qualifié de désinformateur (voir TH Kauffer). S'il fallait ne donner (et lire) que deux biographies, c'est Curtis Cate (1994) et Olivier Todd (2001) qu'il fallait retenir. Et y ajouter les travaux de G.T. Harris s'agissant de l'anticolonialisme supposé du héros. Et le "roman" (en fait le témoignage) La Désillusion (1986) de Jean Gisclon (1913-2009) pour l'épisode espagnol. Quatre auteurs et l'on sait tout (ou presque) ! C'est faisable, non ?
Allez ! Encore une pour la route ! Dans la chronologie, pour l'année 1937 : "Malraux rompt avec Clara / Voyage aux États-Unis et au Canada / Il rencontre Josette Clotis, sa compagne jusqu'en 1944". Cet ordre des évènements n'est pas anodin : le héros national français ne peut avoir vécu simultanément avec deux compagnes. Pourtant il a rencontré Josette Clotis en 1933 (ainsi d'ailleurs que Louise de Vilmorin - trois compagnes en même temps, quel homme !). Elle l'a suivi aux États-Unis et, au retour mi-avril, il est rentré chez Clara son épouse, dont il ne se séparera qu'en août 1937.
Comme je l'avais suggéré, le 23 novembre 2006, pour une fois au moins, Patrice Gélinet réalisait bien l'émission "2000 ans d'histoires"...
© Jacques Haussy, décembre 2009