Debray

ÉLOGES, de Régis DEBRAY, Gallimard, 1986



Il s’agit d’un recueil de 9 textes d’inégale longueur – de 4 pages (Guayasamin et les hommes de maïs) à 46 pages (Le Tintoret ou Le sentiment panique de la vie) – et d’inégal intérêt. Courbet : une révolution manquée (10 pages), et Victor Serge, le beau métier de vaincu (18 pages), sont sans doute les plus neufs et originaux. Dans ce dernier une réflexion amusante :

Le trotskisme fut pendant un demi-siècle la mauvaise conscience du mouvement ouvrier ; et Serge, la mauvaise conscience des grandes consciences qui peuplaient alors les tribunes – les Barbusse, Gide, Malraux, Naville, Georges Duhamel… (Le Nouvel Observateur, décembre 1973)


L’article relatif à Malraux fait 38 pages. C’est la Préface à une édition combinée de janvier 1977 des romans La Voie royale et Les Conquérants par le Club français du livre ( quoiqu’il s’agisse d’une belle édition numérotée et reliée en cuir vert, on peut la trouver ce jour, chez Amazon, au prix de seulement 6,77 €, livrée à domicile ). Le titre de cette préface intrigue et amuse : André Malraux ou L'impératif du mensonge. Parue après la biographie de Jean Lacouture et les 5 premiers tomes (sur 6) de souvenirs de Clara Malraux, elle intègre les révélations de ces auteurs sur les falsifications et inventions d’André Malraux. C’est ainsi qu’on peut lire :

.il fallait mentir pour donner l'illusion du vrai. Malraux fit ce qu'il fallait : « Né à Paris. Chargé de mission archéologique au Cambodge et au Siam par le ministère des Colonies (1923). Membre de la direction du parti Jeune Annam (1924). Commissaire du Kuomintang pour la Cochinchine, puis pour l'Indochine (1924-1925). Délégué à la propagande auprès de la direction du mouvement nationaliste à Canton sous Borodine (1925). » C'est la notice biographique qui accompagne Les Conquérants à sa parution.

Les trois premières pages extraites du texte dans le recueil sont fournies ici. Où l’on voit que l’ « Éloge » est singulier et constitue une dénonciation sévère des mystifications de Malraux.

Mais l’auteur justifie aussi ces mensonges, par la demande des lecteurs du moment :

...nous ne tolérons plus d’œuvre qu'autobiographique, ou, à tout le moins, gagée sur une vie.

Et ce serait le talent de Malraux que d’avoir su la satisfaire :

Cette obscure demande d'authenticité, c'est le génie du Malraux des Conquérants que de l'avoir perçue; sa chance, et son tour de force, fut d'avoir pu y répondre par des faux-semblants. Le besoin d'immédiat et de direct est piégé : on demande moins la vérité que de pouvoir y croire. Ce qui peut se résumer ainsi : de quel vécu Les Conquérants et La Voie royale sont-ils la transposition? Tout l'art de Malraux consiste à susciter la question sans y répondre, à l'imposer de biais sans la poser de face.

Mais que reste-t-il de la surprise, de la révélation et du fascinant lorsque les supercheries sont démasquées ?

Enfin, illusion et méprise graves, en 1977 Régis Debray croyait encore qu’un jour futur « les adolescents seront dans la rue avec Les Conquérants en poche » !...



© Jacques Haussy, mars 2019