LE SIECLE DE SARTRE de Bernard

LE SIECLE DE SARTRE de Bernard-Henri LEVY, Grasset, 2000

 

Bernard-Henri Lévy a écrit là un bon livre, salué avec faveur par toute la classe littéraire, y compris les gardiens du temple sartrien (Cf. articles de Michel Contat et de Claude Lanzmann dans Le Monde des livres du 21 janvier 2000). Sa réputation en est sortie grandie, comme le note Maurice Nadeau (La quinzaine littéraire, 16 au 30 novembre 2001) : « Je prends Bernard-Henri Lévy au sérieux depuis son Siècle de Sartre Ce qui ne l’a pas empêché de critiquer sévèrement son dernier livre (Réflexions sur la guerre… , Grasset, 2001), et de railler l’auteur : « … il savait bien qu’après avoir couru au Bangladesh sur un coup de clairon malrucien il n’allait plus ailleurs, en Angola ou au Burundi, que pour « voir » et, au retour, « se faire voir ». »

Le très grand Malraux

Bernard-Henri Lévy, dont on sait qu’il oeuvra pour la panthéonisation de novembre 1996, voue à Malraux une admiration inconditionnelle. Or, s’il est bien deux personnalités totalement opposées, ce sont celles de Malraux et Sartre. Au hasard, le premier était avide de pouvoir, de considération et de décorations - jusqu’à falsifier ses états de service pour bénéficier d’une médaille - alors que le second était la simplicité même. Comment notre auteur, qui cite le nom de Malraux plus d’une trentaine de fois dans son livre sur Sartre, allait-il apprécier celui-ci sans dévaluer l’autre ? Élémentaire : Malraux est « grand » (pp. 17, 18, 102, 387) et même « très grand » (p. 387), mais Sartre est avec Barrès et Gide le plus grand écrivain du siècle (pp. 101, 103 et 116).

Par ailleurs, et certainement à la surprise de beaucoup, Malraux ayant tellement fait pour se faire passer pour un grand Résistant contrairement à Sartre, qui, lui, aurait même collaboré, Bernard-Henri Lévy rétablit les faits et montre que celui qui a eu l’attitude la plus valeureuse est bel et bien Sartre : « … mieux vaut l’engagé précoce qui est là quand les autres n’y sont pas que l’ouvrier de la onzième heure qui se fait voir sur la barricade au moment où il n’y a plus de mérite à y être. »

Il reste que Bernard-Henri Lévy devrait s’intéresser de plus près à son idole. Il continue en effet d’écrire « ceux qui ont joué leur œuvre, et leur gloire, sur le double registre d’une vie écrite et de livres vécus » (p. 30), et « … vivre ou raconter… Malraux, comme ses héros, choisit de vivre » (p. 615). Rappelons que Malraux n’a rien vécu de ce qu’il raconte dans ses livres : l’aventure dans la jungle cambodgienne décrite dans la première moitié de La Voie royale ne ressemble en rien à l’expédition de pillage à Banteay Srei, il n’a aucunement participé aux évènements de Canton et Shanghai des Conquérants et La Condition humaine, et il n’a pas été un aviateur de L’Espoir. Si « un homme c’est la somme de ses actes » (p. 249), il faut savoir distinguer un acte d’un geste, une réalité d‘un simulacre.

Sartre vs Malraux

Bernard-Henri Lévy cite avec délectation un universitaire qui aurait trouvé dans Sartre : « je n’aime pas Malraux, il est trop proche de moi » (J. F. Louette, Sartre contre Nietzche, Presses universitaires de Grenoble, 1996, p. 165 ; un autre universitaire, Thomas Clerc, dans Le Monde du 21 novembre 2001, fait la même citation en la précédant de : « on connaît le mot… », les mensonges répétés finissent-ils par faire une vérité ?) J’ai cherché en vain cette citation. Ce que j’ai trouvé de plus ressemblant est dans Les Carnets de la drôle de guerre, septembre 1939-mars 1940 (Gallimard, 1995) : « Commencé à relire La Condition humaine. Agacé par une ressemblance fraternelle entre les procédés littéraires de Malraux et les miens » (Carnet XIV, pp. 615-616). Si l’on s’en tient là on pourrait croire en effet que Sartre reconnaît à Malraux une certaine égalité littéraire avec lui-même. Mais lisons plus loin : « Est-ce parce que je vois trop les ficelles ? Aucun des effets ne porte… je sens tout aussi fort combien je fais époque avec Malraux (même intellectualisme). Je dois dire que rien n’est porté à la perfection chez lui. La syntaxe est lâche, les mots sont laids et ambigus, souvent. J’ai l’impression de relire mon premier brouillon. » L’opinion de Sartre sur Malraux à la même époque est tout à fait explicite dans une lettre du 14 octobre 1939 (Lettres au Castor, Gallimard, 1983, p. 352) : « Le con. Ce mec finit par me porter sur les nerfs ».

© jacques haussy - novembre 2001