Kessel

ANDRÉ MALRAUX : LA CONDITION HUMAINE, de Joseph KESSEL, Gringoire, 21 juillet 1933.


Les chambellans du Grand homme ont toujours prétendu qu'il n'était pas responsable des mensonges relatifs à sa vie et que sa légende était le résultat de son absence de rectification des faux portraits qu'on a faits de lui. Il n'en est rien : il a bel et bien falsifié lui-même sa biographie. En racontant par exemple devant des journalistes "J'ai été commissaire du peuple à Canton", et la preuve éclatante d'une de ses mystifications figure dans la déclaration faite devant les caméras des actualités filmées lors de l'attribution du prix Goncourt. Chacun peut le constater sur le site de l'INA, à l'adresse :

http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CAB87038383/prix-goncourt.fr.html

(Pathé Journal 1933, des minutes 1.30 à 1.55).

En voici la transcription : " ...Qu'il n'y ait aucune équivoque sur mon livre : j'ai essayé d'exprimer la seule chose qui me tienne à cœur, montrer quelques images de la grandeur humaine, les ayant rencontrées dans ma vie dans les rangs des communistes chinois écrasés, assassinés, jetés dans des chaudières, et détruits de toutes façons. C'est pour ces morts que j'écris."

Résultat : une réputation d'homme d'action et de révolutionnaire qui a perduré jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, Bernard-Henri Lévy, lequel il est vrai a montré en maintes occasions, et encore récemment avec l'affaire Botul, qu'il était un niais et un nigaud de première grandeur, continue de le qualifier : « …le révolutionnaire par excellence… le rebelle… l’éternel insurgé… le romancier de l’époque. Le plus grand. Le plus glorieux… Le modèle… » (voir Ad Lévy3).

Dans Malraux Grand homme ? pour illustrer la fortune du caractère "autobiographique" de ses romans "chinois", avait été donné un extrait, reproduit ci-dessous, d'un article de Joseph Kessel dans Gringoire du 21 juillet 1933, proposé sur le site malraux.org à l'adresse :

http://www.malraux.org/index.php/articles/1050-kessel.html

Le commentaire "la crédulité humaine est sans limites" avait été ajouté, mais, après réflexion, est-il justifié ? Joseph Kessel était en effet le dernier à pouvoir se laisser abuser. En 1933, il avait déjà fait plusieurs fois le tour du monde et avait plus d'une trentaine d'ouvrages à son actif, dont un "Mémoires d'un commissaire du peuple" (Champion, 1925) ! Grand reporter, il avait observé de près la révolution bolchevique et il en avait fait le sujet de son premier roman La Steppe rouge (Nouvelle revue française, 1923). Alors, pourquoi ces lignes grotesques ? L'observation du nom de ses éditeurs apporte peut-être une réponse. En effet, à cette date de 1933, Gallimard n'avait édité qu'un bon tiers de sa production. Il sera ensuite son éditeur principal. Or, Malraux disposait d'une position fort importante chez Gallimard : il était membre du comité de lecture depuis 1928 et directeur artistique. De plus, il était acheteur-trafiquant d'objets d'art pour le compte de la Galerie de la NRF. Que Joseph Kessel, un de ses obligés, ait voulu le séduire en accréditant ses mensonges et en écrivant un dithyrambe n'a donc rien d'étonnant.

Autre observation : il a été souligné combien les romans de Malraux, dits pourtant "révolutionnaires", avaient été reçus avec faveur à l'extrême droite (voir Ad Maulnier). C'est encore le cas ici puisque l'hebdomadaire Gringoire relève de cette famille politique, et sera notamment franquiste et vichyste.

Bien d'autres traits (par exemple, "l’érotisme tourmenté " de La Voie Royale...) mériteraient un commentaire, et décidément cet article, qu'il faut bien qualifier de stupide, est une mine pour l'exégète.

Pour le lecteur le moins averti de l’existence de Malraux, pour celui qui ne soupçonne même pas que sa vie est l’une des plus folles et des plus volontaires aventures de notre temps, le fait serait tout de même certain : l’homme qui a écrit La condition humaine a vécu ces insurrections, ces conciliabules secrets, tumultueux et lourds, ces massacres à froid, ces tortures barbares. Il a connu les désespérés, les rebelles, les bourreaux, les victimes, les obsédés, les fantoches et les fantômes que son livre restitue avec un frémissement tenace et sauvage.

Toutes ces qualités de réel et de rêve dur, tout ce don descriptif qui fond sans cesse le physique au spirituel et à l’intellectuel se trouvent assurément dans Les Conquérants...

© Jacques Haussy, septembre 2010


Les premiers mots de la page d'accueil de ce site sont "André Malraux a été un faux aventurier..." C'est dire si j'ai sursauté en lisant le titre d'un article de la dernière livraison (N° 38, 2011) de la revue André Malraux review : "Entre aventuriers : André Malraux et Joseph Kessel". L'article lui-même est conforme à son titre s'agissant de la vie de Malraux : ignorance et erreurs. Par exemple, l'auteur écrit : "Malraux faisait pendant la guerre partie d'une unité de chars de combat". C'est là une invention dont Robert Payne a fait un usage spectaculaire ("Mai fut atroce, mais juin fut pire…"). Je rappelle que, pendant les quelques semaines de 1940 passées au Dépôt de Cavalerie de Provins, de mi-avril à son arrestation le 16 juin, dont un séjour au Val-de-Grâce à Paris, il recevait un enseignement militaire de base (il "faisait ses classes"), ayant été réformé définitivement en 1923. Il n'a jamais eu à mettre les pieds dans un char de combat.

Plus grave, la méconnaissance conduit à des vues erronées. On sait avec certitude depuis les premiers livres de souvenirs de Clara Malraux, c'est-à-dire depuis plus de quarante ans, que les événements qui font la toile de fond de Les Conquérants et La Condition humaine n'ont pas été vécus par leur créateur. Or la thèse de l'auteur de l'article est que "[Malraux et Kessel] croient en l'intégration de leur expérience personnelle au sein d'ouvrages destinés à divertir mais également à informer les lecteurs". Pour lui, donc, les allégations de Joseph Kessel "L'homme qui a écrit La Condition humaine a vécu ces insurrections, ces conciliabules secrets, etc..." sont sincères, et par conséquent Kessel est un naïf et un niais ?

J'ajoute enfin que j'ai un doute quand à l'affirmation selon laquelle "Kessel a toujours fui les considérations politiques". L'hebdomadaire Gringoire dont il a participé à la genèse avait une orientation nettement de droite dès sa création, et, avant de devenir d'un antisémitisme monstrueux, il a soutenu les ligueurs de 1934, surnommé le gouvernement républicain espagnol le "Frente Crapular", poussé Roger Salengro au suicide, etc...

mars 2011


André Malraux et Joseph Kessel n'étaient pas étrangers l'un à l'autre. La preuve dans Clara Malraux (La Fin et le Commencement, p. 165) : "Un soir nous allâmes dîner au Poisson d'Or - restaurant russe du quartier Latin - avec Kessel, Germaine Montero et Mermoz..." Dater cette rencontre n'est pas facile, comme souvent avec Clara : elle indique que Mermoz "le lendemain devait entreprendre, à partir des Canaries, la traversée de l'Atlantique. Dans ce sens là elle n'avait pas encore été accomplie". A s'en tenir là on pourrait croire qu'il s'agit de mai 1930, date à laquelle Mermoz a relié Saint-Louis du Sénégal à Natal, réalisant ainsi la première liaison postale transatlantique. Mais plus loin (p. 168) on apprend que "Mermoz est parti au matin. Il n'est jamais revenu". Il s'agit donc de sa dernière traversée au cours de laquelle il disparut, le 7 décembre 1936. Jean Mermoz fut membre des "Volontaires Nationaux", puis, après la dissolution des ligues, vice-président du "Parti social français" de François de La Rocque.

mars 2011

Dans l'article de la RAMR n° 38 dont il est question ci-dessus, la note 23 a disparu, ce qui a privé le lecteur du commentaire du Conservateur en chef du Musée Guimet, Pierre Cambon, et a décalé les notes suivantes. Voici cette note 23 :

23. à l'adresse http://mapage.noos.fr/amis.de.guimet/pages/acquisitions/tete_bouddhique.html