Serri

Jérôme SERRI, Et la droite enterra Malraux, Causeur, 25 septembre 2019, et autres articles du même magazine et de Valeurs actuelles


M. Jérôme Serri a déjà été rencontré ici (TH : Cate et Inde ; Ad : Goetz ; Cr : Dagen3 ; Div : Dictionnaire), mais il y a été simplement cité, dont une fois pour signaler qu’on avait quitté une réunion avant son intervention... Et puis voilà que les deux sites « officiels » consacrés à Malraux (andremalraux.com et malraux.org) reproduisent tous deux un de ses articles paru dans Causeur le 25 septembre 2019, titré Et la droite enterra Malraux…
Avant de lire cet article, quelques mots sur les supports habituels des tribunes de M. Serri, Causeur et Valeurs actuelles : il s’agit là de « médias de la droite décomplexée » selon acrimed (https://www.acrimed.org/Quand-Causeur-et-Valeurs-actuelles-s-essaient-a ). Et même, s’agissant de Valeurs actuelles, selon Le Monde, d’un « hebdomadaire ultraconservateur et caisse de résonance des obsessions de la droite la plus radicale » (enquête sur Renaud Camus, intitulée « Renaud Camus, aux origines de la haine » parue le 9 novembre 2019). On notera aussi que ce magazine Valeurs actuelles a été condamné pour « racisme, incitation à la haine ou à la violence ».

A
rticle de Causeur du 25 septembre 2019

Alors, cet article de Causeur ? Il confirme que M. Serri ne supporte pas que son grand homme ne soit pas célébré par tous et en tous lieux.
A la frustration de ne pas voir encenser son idole s’ajoute le ressentiment à l’égard de son successeur, Jack Lang, qui se trouve pris à partie de façon fort injuste. Il se serait « fourvoyé dans la promotion démagogique du préjugé de la tabula rasa, de la spontanéité, de l’immédiateté » ; « N’importe quel ministre de l’Économie aurait pu mettre en place le prix unique du livre » ; « avec le ministre de la Culture de Mitterrand, avec son décret du 10 mai 1982, la culture a été noyée dans le socioculturel... ». On n’a ici aucune sympathie particulière pour Jack Lang (voir Ad Lang et Ad Lang 2), mais qui a fait tabula rasa d’un beau théâtre des Grands Boulevards du milieu du 19ème siècle, d’un plafond de l’Opéra choisi par Charles Garnier, et qui a fait construire à Paris le second « ugliest building » du monde (voir Div Tour), sinon M. Malraux ?… Et qui a fait construire les étonnantes fontaines de Pol Bury et de Daniel Buren au Palais Royal, et qui a fait si bien orner les vestibules de l’Elysée et du ministère de la culture par Arman et Alechinsky ?...
Matisse Ces colonnes de Buren, qui pourtant aujourd’hui ne font plus polémique, M. Serri ne les a pas oubliées, et il continue de les fustiger et de gémir sur leur édification, laquelle serait entachée du mépris à l’égard dune citation de Malraux faisant allusion aux ‘bandes verticales’ que Matisse avait peintes sur la tenture de la célèbre Nature morte aux oranges…
En fait M. Serri rend Jack Lang responsable de tous les excès et outrances de certains aspects de l’art contemporain, les productions d’un Jeff Koons par exemple. Sans parler des conflits d’intérêts d’un Aillagon.
Un film sur un débat entre Eric Zemmour et Yves Michaud (Cnews, Le Face A Face, 04/03/2020 et 08/03/20
https://www.youtube.com/watch?v=rxuowczQ3nA) montre bien le point de vue sur l’art des réactionnaires tels Serri et Zemmour. Et on n’oublie pas que ce dernier a été condamné par la justice française pour provocation à la discrimination raciale en 2011 et pour provocation à la haine envers les musulmans en 2018. On note que Zemmour, lui aussi, annexe Malraux pour défendre son point de vue (à la minute 24:45) et fustige tout autant Jack Lang (à 25:25).

Article de Causeur du 23 novembre 2016
Dans un précédent article (Cet oublié nommé Malraux, Causeur, 23 novembre 2016) M. Serri avait déjà dénoncé le scandale de l’effacement du grand homme, et, de plus, avait prétendu que « Malraux pilleur de temples » était une médisance et un malentendu, en reprenant l’argumentation exposée par Lacouture en 1973 : ce temple était en déshérence. Et si Malraux se voit « abandonné à l’oubli » aujourd’hui, c’est pour une raison simple : « la stupidité » du public ! La note comique de cet article : à la question posée en 2012 aux candidats à l’élection présidentielle de savoir quel a été le meilleur ministre des affaires culturelles de la Vème République, " Seuls les candidats du centre et de l’extrême droite – contre toute attente (sic) – répondirent : « Incontestablement, André Malraux » ".

Article de Valeurs actuelles du 26 octobre 2019
Valeurs actuelles Il est titré Cette avancée de l’islam qu’Arte ne saurait voir. Un titre qui ne peut qu’aguicher des lecteurs de ce magazine, lequel a pour obsession l’islam et son déferlement supposé en France, son « invasion ». André Malraux est mis à contribution dans la croisade de M. Serri car il aurait prononcé les paroles prémonitoires prises en sténo par Élisabeth de Miribel et conservées précieusement à l’Institut Charles-de-Gaulle : « Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l’islam est analogiquement comparable aux débuts du communisme du temps de Lénine. »
L’attitude de Malraux à l’égard de l’islam a été observée de près par le témoin attentif Jean Lacouture qui n’a pas discerné cet intérêt et cette vigilance remarqués par M. Serri (p. 377) :
André Malraux — le rameau persan excepté — n'a jamais porté le moindre intérêt à l'islam, qui pour lui n'a « pas de forme » et n'a de force que celle, négative, des opprimés. Tout mouvement en pays arabo-musulman ne peut déboucher selon lui que sur le kemalisme; or, en Algérie, le kemalisme — laïcisme, modernisme, féminisme — c'est de Gaulle qui, selon lui, le promet. Ainsi... Et le voilà parti sur des nuées qui pour une fois l'aveuglent au lieu de le porter : « Si, en Algérie, l'élan du nationalisme islamique s'arrête, c'est le monde occidental tout entier qui cesse de reculer... »
La vérité est que le problème l'intéresse surtout sur un plan : celui de la survie du régime, et accessoirement sur un autre : celui de son hygiène. Il voit en l'Algérie — dont il ne connaît ni l'histoire, ni la culture, ni le peuple, et dont l'art lui paraît sans mérite particulier — une menace permanente pour de Gaulle et l'occasion pour le système qu'il a cautionné et à l'efficacité duquel il croit, de se salir.

Enfin, M. Serri voit une censure dans la reproduction raccourcie de la réponse de Malraux à la question “ Si vous étiez un jeune musulman, seriez-vous un partisan du FLN ?”, il laisse échapper “Si j'étais un jeune musulman, je combattrais peut-être avec les fellaghas”. La réponse, de fait est tronquée, mais tous les observateurs conviennent que les propos du ministre étaient incontrôlables et qu’il était préférable d’éviter de l’exposer à des questions « sérieuses » : « Pour lui épargner de futurs épreuves de ce genre, de Gaulle décida alors d’envoyer son ministre d’État […] faire un premier voyage de propagande aux Antilles. » (Curtis Cate, p. 472). « Pour certaines éminences ministérielles, Malraux serait la danseuse du Général, douée, brillante, mais fofolle, imprévisible. » (Olivier Todd, p. 425).

*
Est-ce rendre service à André Malraux et à sa mémoire que de faire montre d’un tel aveuglement, et, surtout, de l’enrôler dans des causes et sur des supports aussi contestables ?

© Jacques Haussy, mars 2020



... en espérant que l’actualisation zemmourique du discours de Drumont ne conduira pas aux mêmes funestes conséquences.


mai 2020