LE MONDE ET MALRAUX 2

LE MONDE ET MALRAUX 2, article L’art contre la servitude, par Philippe DAGEN, 22 novembre 1996

 

 

Dans le numéro de la panthéonisation du journal Le Monde - 12 pages titrées Malraux la jeunesse du siècle - Philippe Dagen a été chargé de la page « Malraux et l’art » et a donné un article intitulé L’art contre la servitude. L’article est écrit selon la technique du balancement rhétorique bien connue au Monde où de Baroncelli en pratiquait naguère une caricature dans ses critiques de cinéma. Quelques exemples :

[La méfiance] n’a pas disparu et ses raisons n’ont pas changé : trop de rhétorique, trop de noms propres, trop d’allusions confuses… pourtant…

Ce lyrisme lesté de mots rares qui sévit dans les Antimémoires autant que dans les écrits esthétiques finirait par en rendre la lecture fastidieuse si…

Le résultat est une hagiographie, d’autant que Philipe Dagen n’a même pas une allusion aux réfutations implacables de rien moins que Georges Duthuit et Ernst Gombrich. Au contraire, il déconsidère ceux qui ont l’audace de critiquer son grand homme :

Il y a vingt ans, les écrits sur l’art de Malraux n’étaient pas au goût du jour. Les historiens leur reprochaient leurs imprécisions. Quant à ceux dont l’esthétique est la matière, ils ne lui concédaient pas même une mention. Il avait de trop grand torts à leurs yeux : pas assez doctrinaire, pas assez moderne, pas assez philosophe, il n’avait fondé sa réflexion ni sur la linguistique ni sur la psychanalyse. Quant au marxisme, il l’avait abandonné. Aussi se trouvait-il hors-jeu.

En quoi Duthuit et Gombrich sont-ils concernés par cette diatribe ? Leurs écrits critiques datent, pour le premier de 1956 (Le musée inimaginable, José Corti), pour le second de 1954 (article du Burlington Magazine), et n’ont rien à voir avec une mode ou un mouvement de pensée quelconques.

 

Dagen vs. Gombrich

Peut-être ces auteurs pourtant généralement très estimés ne trouvent-ils pas grâce aux yeux de Philippe Dagen ? Il se trouve qu’Ernst H. Gombrich est mort le 3 novembre 2001 et qu’au Monde (7 novembre 2001) la notice nécrologique a été confiée à … vous l’avez deviné, Philippe Dagen ! Notice fielleuse, intitulée L’auteur d’ « Art et illusion », dans laquelle la notoriété de Gombrich n’est due qu’à deux de ses livres : Le premier, de vulgarisation, paraît en 1950 : c’est une Histoire de l’art, qui se veut universelle… L’un des rares best-sellers de l’édition d’art, cet ouvrage d’initiation est devenu « le » Gombrich, d’un abord facile pour ses lecteurs et d’une rentabilité assurée pour ses éditeurs. Deux raisons rédhibitoires, on en conviendra. Le second, Art et illusion, ne vaut guère mieux qui a conduit son auteur à confondre peinture et imitation du monde, histoire de l’art et histoire des progrès de la représentation vers plus de cohérence et d’efficacité.

Soit. Et puis voilà que paraît chez Flammarion une Histoire de l’art écrite par un professeur au Collège de France, Jacques Thuillier. Article critique rédigé dans Le Monde du 6 décembre 2002 par … Philippe Dagen bien sûr ! Un massacre ! Rien ne trouve grâce aux yeux de notre malreauxlâtre. Un échantillon : Il manquait à la haine, tragiquement française, de l’art du XXème siècle un ouvrage de référence. L’ Histoire de l’art selon Jacques Thuillier est cette bible. Et c’est bien là le seul intérêt qu’on puisse lui reconnaître.

Pour ma part, après avoir lu la dernière phrase de cet article, phrase qui m’a fait tomber de ma chaise, j’accorderai à ce livre un préjugé favorable : …pour le reste - s’initier à l’histoire des civilisations et des artistes, des idées et des œuvres - il est recommandé de relire Gombrich.

 

Dans Malraux Grand homme ? j’avais qualifié Philippe Dagen d’opportuniste. Je persiste et signe.

 

(Si l’on veut apprécier une étude critique exemplaire, et permettant d’en savoir davantage sur Ernst Gombrich, on lira l’article de James Hall intitulé Older and wiser, dans le Times Literary Supplement du 18 octobre 2002, consacré au livre The Preference for the primitive - Episodes in the history of Western taste and art, de Gombrich, paru chez Phaidon. On verra que ce dernier est peut-être l'auteur de plus de deux livres.)

 

 

© Jacques Haussy, décembre 2002