NOUS NE SAVONS PAS AIMER

NOUS NE SAVONS PAS AIMER, de Jean-Marie ROUART, Gallimard, 2002

 

Si peu que vous usiez de la télé, de la radio, ou des journaux et magazines, vous ne pouvez pas ignorer que Jean-Marie Rouart a publié un nouveau livre l’automne dernier. En effet, celui-ci fait partie de la « société de connivence » qui permet à ses membres de se recevoir, s’auto-promotionner et s’auto-congratuler sur les médias de l’hexagone. Il en est même un tel archétype que son livre correspond parfaitement à la description que fait Serge Halimi dans Les nouveaux chiens de garde (Liber-Raisons d’agir, 1997. Lecture hautement recommandable) : « … ils prennent la plume, se mettent en scène avec tendresse, narrent leurs conquêtes et leurs déboires, les secrets que les Grands de ce monde leur confièrent et leurs rares journées d’aventure et de guerre dans une vie tranquille et casanière. » L’aventure et les Grands de ce monde sont ici réunis dans le récit d’un trajet en voiture par temps de neige sur les routes de l'Allier en compagnie de François Mitterrand !

Un tel « livre que c’est pas la peine » ne m’aurait pas arrêté une seconde si le nom de Malraux n’avait été mentionné au cours de l’une de ces séances médiatiques de promotion. (L’honnêteté m’oblige à dire toutefois que j’ai une certaine tendresse pour J.-M. Rouart du fait de ses antécédents. Par exemple, je ne lis pas sans émotion dans la biographie d’Henri Matisse écrite par Hilary Spurling que le Matisse de 28 ans en 1897 était allé regarder des tableaux impressionnistes chez Henri Rouart, ami de Degas, lequel a donc contribué à la formation de cet immense artiste).

Malraux donc, que Rouart estime « …le plus important personnage historique des temps modernes, qui a prolongé son action dans le rêve et la légende » (p. 133). L‘action se passe en 1983 au cours d’un repas à l’Elysée où Mitterrand a invité une dizaine de « saltimbanques », parmi lesquels, outre Rouart, François-Marie Banier, Hélène Cixous et Jérôme Savary :

« … le nom de Malraux fut jeté en pâture. Tout le monde y alla de son coup de dents… L’aversion du Président était notoire. Le Président savourait cette mise en pièces. Il conclut :

- Ses livres sont un peu du toc, comme son personnage. Ça a vieilli. Je ne crois pas que les jeunes le lisent.

Je me récriai. Dans une ambiance glaciale, devant un auditoire consterné et méprisant, je m’efforçai tant bien que mal de défendre Malraux… »

Le repas se poursuit et la conversation revient de nouveau sur Malraux, et Hélène Cixous sort cette phrase qui a bouleversé notre Jean-Marie comme une rombière sur qui on aurait risqué un geste inconvenant : « Le problème avec Malraux, c’est qu’il n’était pas très intelligent. » Jean-Marie Rouart : « … dans la cour de l’Elysée… je continuai à suffoquer d’indignation. »

 

Et puis Jean-Marie ne fut plus invité à l’Élysée : « Je me sentis triste et dépité comme une jeune fille qu’on a séduite et qu’on n’invite plus à danser. »

Que d’émotions et que de drames dans la vie de notre académicien ! (Oui, vous ne saviez pas ? Jean-Marie Rouart est académicien ! Étonnant, non ?)

 

© Jacques Haussy, décembre 2002