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RULES
OF ENGAGEMENT de Judith THURMAN, The New Yorker,
May 2, 2005 ;
http://www.newyorker.com/archive/2005/05/02/050502crbo_books?currentPage=all
Voici encore une critique américaine de la biographie produite par Olivier Todd (voir Cr Hitchens et Cr Shattuck), cette fois dans The New Yorker, par Judith Thurman, rédactrice du magazine depuis 1987 et auteur de deux biographies remarquées de Karen Blixen/Isak Dinesen (1982 - traduit en français en 1986, Seghers) et Colette (2000 - 2002, Calmann-Levy).
Cet
article est sérieux et documenté, mais il manque de distance
critique, particulièrement pour le bilan du ministre du général De
Gaulle, et montre beaucoup d'indulgence et de sympathie à l'égard
d'André Malraux. Aussi juge-t-elle sévèrement Olivier Todd à qui
elle reproche d'adopter "un
ton sarcastique et parfois de mépris vulgaire
" ("a tone of snide and at times vulgar
contempt"). De plus, son
texte est entaché de nombreuses erreurs dont voici quelques
exemples :
-
Clara est l'aînée d'André de quatre ans (moins deux semaines), et
non trois ;
-
Lors de son incorporation dans la cavalerie, et non l'infanterie, en
avril 1940, André Malraux avait 38 ans, et non 39. Il n'était pas
réserviste, mais réformé. "Georges André" n'était pas
un pseudonyme, mais ses deux prénoms ;
-
Il n'a pas "refusé de publier un mot dans la presse de
l'Occupation ou de Vichy" : il était mis à l'index
("liste Otto") ;
-
Mme Thurman aurait été bien inspirée de lire les écrits de son
compatriote Walter G. Langlois quant à la guerre d'Espagne,
notamment sur la création de l'unité d'aviation.
A
signaler l'erreur relative à Hemingway : « “Man’s
Hope”, he cracked later, was a “materpisse.”
(sic) » Une coquille sans
doute, qui donne l'occasion de fournir le texte exact et son origine.
Il est tiré d'une lettre d'Ernest Hemingway à son éditeur, Maxwell
Perkins : "When finished am going to settle down
and write and the pricks and fakers like Malraux who pulled out in
February 1937 to write gigantic masterpisses before it all really
started will have a good lesson when write ordinary sized book with
the old stuff unfaked in it."
Sujet
à réserves comme on voit, le travail de Judith Thurman présente
toutefois une originalité, qui lui vaut sa présence ici : il
aborde le sujet de l'antisémitisme. Pour en exonérer André Malraux
à l'instar de Clara, dont elle ne s'étonne pas de la curieuse
formule, antisémite précisément : "goodness knows I
gave him enough cause". On aurait aimé savoir ce qui
justifie d'écrire qu'il a dénoncé vigoureusement ("strenuously")
l'antisémitisme, car les réflexions antisémites faites à Clara
abondent en effet dans les souvenirs de celle-ci : "vous
êtes lâche comme une juive", "vous êtes exigeante
comme toutes les femmes juives"... (voir TH Clara 3). Il est
vrai qu'il avait de qui tenir puisque son père Fernand a dit de sa
bru lors du mariage : "for a jew, Clara dresses pretty
well".
L'épisode
de la rencontre au café La Fayette, place Wilson à Toulouse, pour
une demande de divorce, est raconté comme Lacouture, en donnant le
beau rôle à André, alors que le refus vient de Clara : "...he
consented to stay married, despite Josette's nagging, in order to
help protect his wife and child..." Il est de plus manifeste
qu'en cette circonstance André Malraux montrait qu'il n'avait pas
compris le drame que vivaient les juifs à cette époque.
Ajoutons
à ce tableau la grande amitié avec quelques antisémites comme
Pierre Drieu la Rochelle et Thierry Maulnier - il est vrai que dans
ce dernier cas il ne s'agit que d' "un antisémitisme
raisonnable" (voir TH Maulnier).
Ces
31 octobre et 1er novembre prochains se tient un colloque à
Jérusalem sur le thème "Malraux et ses harmoniques juives".
L'ineffable Bernard-Henri Lévy donne la conférence inaugurale
titrée "Ce juif de Malraux !" On est curieux de voir ce
que son talent de bonimenteur va faire des éléments ci-dessus
rappelés.
Pour
conclure sur l'article de Judith Thurman, disons qu'ici le magazine
The New Yorker ne parait pas tout à fait à la hauteur de sa
réputation.
© Jacques Haussy, octobre 2010