Admirateurs
Françoise Giroud, une grande journaliste
Françoise Giroud vient de mourir et tous les professionnels de la profession se répandent en éloges dans tous les médias. Tous en font beaucoup, et certains en font trop, comme Le Monde, pour qui elle est la « journaliste absolue » (21 janvier). Pour ma part, j’ai toujours trouvé évitables ses livres et ses articles, particulièrement dans la dernière période au nouvel Observateur, où était tiré chaque semaine un feu d’artifice de platitudes et d’idées reçues, et où l’éloge était inévitablement l’enfant du copinage.
C’était une grande malreaulâtre (elle était grande en tout), je me dois donc de lui rendre aussi un hommage, à ma façon.
Chienne d’année, Journal d’une Parisienne 2, 1995, Seuil, 1996
Bernard-Henri Lévy est un grand ami de Françoise Giroud, ils ont même publié ensemble (Les hommes et les Femmes, Orban, 1993), et il figure en bonne place tout au long du journal qu’elle a tenu et publié depuis 1994, par exemple lorsqu’elle a été invitée au Mexique en 1996 sur le tournage du film de notre BHL pour un reportage - j’ai failli écrire un publi-reportage. Il est un autre grand malreaulâtre - tous deux ont fait partie du comité de panthéonisation - et j’ai plaisir à l’associer à mon hommage. Ici, pour illustrer la déontologie irréprochable de notre grande journaliste, je reproduis trois extraits de ce journal pour l’année 1995 :
Jeudi 23 février : « BHL est ému parce que sa fille, Justine, vient d’écrire un roman, le premier, que l’on dit excellent. Elle est belle, elle est charmante et voilà qu’elle a du talent… il en est chaviré. »
Vendredi 26 mai : « J’ai fait pour Le Figaro, un article sur le premier roman d’une jeune fille de vingt ans, Justine Lévy. Roman émouvant qui me plaît. À le lire, on s’effraie de ce que les enfants de Mai-68 ont fait à leurs enfants en pratiquant le tout-est-permis… Livre de douleur sobrement exprimée, Le Rendez-vous a du ton. »
Samedi 10 juin : « Il y a bien trente ans que je n’ai pas mis les pieds dans une boîte de nuit. Le hasard d’une petite fête organisée autour de Justine Lévy, pour saluer le succès de son roman, Le Rendez-vous, m’a conduite chez Castel, ce haut-lieu de la jeunesse dorée. »
L’article est bien paru dans Le Figaro, le 26 mai, page 28. Le titre : « La douleur de Justine Lévy/ En attendant maman/ Elle a vingt ans, elle est belle et elle a du ton ». Le début et la fin :
« Soit une belle jeune fille de vingt ans, étudiante en philosophie, qui vous envoie son premier roman… »
« …On ne s’arrache pas de [sic] livres comme celui-là. Mais on attendra Justine Lévy avec sympathie à son prochain ouvrage. Sous la douleur, elle a un ton. »
Sans commentaire.
Malraux sans galons, Le nouvel Observateur, 3 mai 2001
Olivier Todd est aussi un ami. Elle le rencontre certes moins que BHL, mais quand même, et ils se sont croisé à L’Express… La chronique du nouvel Observateur de cette semaine-là est donc consacrée pour un bon tiers à la biographie de Todd. Premières phrases : « Olivier Todd a réussi un exploit : une biographie " à l’américaine" , bourrée de précisions inconnues faufilées dans un récit constamment intéressant. Il faut dire que la vie d’André Malraux n’est pas monotone. Todd en a parlé chez Pivot, très bien, on dira même modestement, alors qu’il s’agit d’un travail fantastique. » Ensuite un embarras est perceptible compte-tenu des âneries que notre grande journaliste a propagées, voire inventées, jadis sur son grand homme, et qu’elle voit mises en pièces par Todd. Mais celui-ci est resté très précautionneux, et permet même à Françoise de continuer d’écrire : « Courageux physiquement, flirtant avec la mort, ses grandes heures ont été celles de la guerre d’Espagne et des quelques semaines de 1944 avec la brigade Alsace-Lorraine, où l’on mourut beaucoup. » Je mets les points sur les I : en Espagne il était « un agent de liaison », il a été « plus une charge qu’une aide », et il était méprisé par « ses hommes » (voir « Gisclon » sur ce site) ; et à la brigade Alsace-Lorraine il était plutôt un emblème, une mascotte, qu’un chef de guerre (voir « Malraux Grand homme ? », page 52).
Dernière phrase de l’article : « Noblesse, délicatesse, générosité, aucune de ses turpitudes ne peut effacer ce Malraux-là dans le cœur de ceux qui l’ont connu. » On est curieux des générosités dont a bénéficié notre Françoise. Je crains que désormais on ne sache jamais. Dommage !
L’Express du 29 janvier 1955
Si l’on sait bien que L’Express a été créé en 1953 (gare à la célébration du cinquantenaire à venir !) sous la figure tutélaire de Pierre Mendès-France, on ignore généralement qu’une autre figure tutélaire était celle de Malraux. Numéro du 29 janvier 1955 (N° 88) : 16 pages au format tabloïd, dont une couverture comportant une photo de Malraux sous-titrée d’une citation du même : « Les hommes du " mur d’argent" ont eu plus d’autorité qu’Edouard Herriot - mais moins que Saint-Just …» (Je sais, Malraux dans le texte, faut comprendre, mais ça en jette !) Puis, trois pages titrées « L’entretien avec André Malraux », deux pages « La dernière chance », signées Henri, comte de Paris (lequel était aussi une référence pour L’Express, ce que l’on oublie. Ici il revenait d’Afrique et avait des choses à dire…), une « Le bloc-notes de François Mauriac », et puis c’est à peu près tout pour le fond. Le reste : une page de courrier des lecteurs, deux de « forum », c’est à dire de courrier de personnes connues (« Faut-il interdire la psychanalyse aux prêtres » par le R. P. Avril, « A quoi sert l’objectivité ? » par M. Merleau-Ponty), deux de dépêches (« Les affaires françaises » et « Les affaires étrangères »), deux pages d’actualités littéraires et du spectacle, et enfin deux « pages au féminin » avec des recettes de crêpes pour la Chandeleur.
L’entretien avec André Malraux est précédé d’une introduction : « André Malraux commente en exclusivité dans L’Express les évènements de l’actualité politique ou littéraire au cours d’entretiens qui sont pris directement en sténotypie, selon le déroulement de la conversation, et que nous publions régulièrement ici… » Quant au contenu, je renonce à même vous en donner un extrait, tant il me paraît accablant de médiocrité satisfaite, lorsqu’il est compréhensible. Idées reçues et lieux communs, sur un ton compassé de donneur de leçons et de conseils, à la gauche par exemple, alors qu’il précise bien : « …je suis gaulliste. Pour les raisons que l’on sait, et que le ton des Mémoires du général de Gaulle a rendues claires pour tout le monde. Cela dit, à vous de jouer. » Autrement dit, d’un air entendu : vous voyez ce que je veux dire ! Épuisant. Pour édifier la jeunesse, il faut rééditer ces entretiens. On pourra y ajouter celui qu’il a donné à un journal sud-américain en 1945 et qu’a repris Le Monde diplomatique en août 1999. Il est farci de mensonges que la présentation par le directeur de la rédaction Ignacio Ramonet - lequel prétend « combattre les trucages et les manipulations des esprits » - non seulement ne discute pas, mais aggrave en parlant d’un Malraux ayant « participé héroïquement à la Résistance ».
L’Express du 21 novembre 1957
Pour accompagner le lancement de La Métamorphose des Dieux, l’hebdomadaire réalise un numéro exceptionnel, accompagné d’un supplément en héliogravure contenant l’Introduction à l’ouvrage et agrémenté de photos en couleurs. La couverture est encore illustrée d’une grande photo de Malraux, sous-titrée cette fois d’une citation de François Mauriac : « Quoi qu’il raconte, tous ses livres, comme les roseaux de la fable, nous murmurent ce qu’il est. » Sans commentaire !
Les quatre pages centrales sont un article de Françoise Giroud titré « La métamorphose d’André Malraux ». Texte qui ne le cède en flagornerie qu’à l’article nécrologique de L’Express du 29 novembre 1976 rédigé par la même Françoise Giroud. Elle est persuadée par exemple que Malraux est un grand chef de guerre - l’article est orné de photos de lui déguisé en militaire, dont une où il est allongé endormi avec une casquette de colonel d’aviation sur la tête : il aimait tellement sa casquette qu’il dormait avec ! Un échantillon : « Budapest, il semble hors de doute qu’il fallait y aller pour se battre avec les insurgés. Il l’aurait fait comme en Espagne - soixante-cinq missions sans brevet de pilote - si l’insurrection s’était prolongée… Et M. Eisenhower aurait reçu la visite d’André Malraux qui, sans dire un mot d’anglais, lui aurait arraché les armes, aurait réuni les hommes, et pris méthodiquement le commandement d’une légion étrangère qu’il aurait menée, avec un « réalisme lumineux » selon l’expression de l’un de ses camarades de guerre, au combat. » C’est beau comme l’antique ! Je mets de nouveau les points sur les I : Malraux était d’une incompétence totale en toute matière militaire et il s’était fait réformer définitivement en 1922. Il n’a jamais piloté un avion, il ne savait même pas faire du vélo !
Paix à Françoise Giroud, dont j’ai dit : « elle a été et reste une des groupies les plus crédules du grand homme » (Malraux Grand homme ?). Je la regrette déjà !
© Jacques Haussy, janvier 2003