Robert Melançon

TOUT L'ART DU MONDE - article de Robert MELANÇON dans la revue Histoires Littéraires, reproduit à l'adresse http://www.histoires-litteraires.org/archi-cr/crmelancon.htm


La revue trimestrielle Histoires Littéraires publie dans son dernier numéro (n° 39 - 3ème trimestre 2009) un article sous mon nom (voir sommaire à l'adresse http://www.histoires-litteraires.org/sommaire.htm). Elle avait déjà accueilli dans son n° 35 de juillet-août-septembre 2008, à la rubrique "Courrier des lecteurs", mes observations sur un article (http://www.histoires-litteraires.org/archi-cr/crmelancon.htm) de son collaborateur Robert Melançon, lequel avait pu me répondre dans le même numéro de la revue. J'avais réfuté cette réponse dans un courriel adressé à l'un des deux rédacteurs, Jean-Jacques Lefrère, qui n'avait pas publié cette réfutation, malgré qu'elle signalait rien moins qu'une citation tronquée. Voici le dossier de ces échanges avec M. Melançon, non consultables sur Internet.



A propos du compte rendu des
Écrits sur l’art d’André Malraux (n° 23, p. 155)
 
L’article signé Robert Mélançon, qui commente la publication, dans la Pléiade, des Écrits sur l’art d’André Malraux, me surprend. Non que l’admiration pour le grand homme national français puisse étonner : Malraux, génial en tout, l’était bien entendu aussi dans sa compréhension de l’art mondial et mérite sans doute la vénération universelle. Mais M. Mélançon déforme de façon surprenante les opinions des critiques d’art sur les écrits de Malraux. À commencer par celle de Georges Duthuit, dont le Musée inimaginable est qualifié d’« illisible ». Il l’est certainement pour les malreauxlâtres dont les yeux sont brouillés de larmes de rage à la lecture du recensement des « erreurs, omissions, négligences, contradictions, confusions parfois volontaires […] trop nombreuses dans son discours pour qu’on les relevât toutes ». Pour ceux qui gardent l’œil sec, la démonstration est pourtant fort claire et lisible. De même, contrairement à ce que prétend M. Mélançon, Ernst Gombrich n’a manifesté aucune indulgence pour les écrits du Grand Homme : « Le texte de Malraux fait figure d’un enchaînement de nombreux aperçus, parfois brillants, parfois de peu de portée, mais qui ne sont jamais imprégnés de ce sens de la responsabilité caractéristique de l’homme de science aussi bien que de l’artiste. Malraux ne semble pas avoir consacré une seule de ses journées à des lectures dans une bibliothèque, pas plus qu’il ne paraît avoir cherché à découvrir quelque fait nouveau. Rendons lui toutefois justice, car il se montre parfaitement conscient que son objectif, comme la forme de son ouvrage, n’a rien à voir avec celui d’un homme de science ou d’un historien… »
André Chastel, il est vrai, a fait montre d’admiration. Mais son opinion ne doit-elle pas être récusée du fait de sa proximité avec le ministre des Affaires culturelles ? Au point qu’une journée d’études à la BnF, en mai 2003, sur le sujet Malraux et l’Inventaire général a pu dévoiler que l’ « Inventaire Malraux » devrait en fait s’appeler « Inventaire Chastel ».
Les « spécialistes » étant disqualifiés du fait de leur somnolence et de leurs habitudes bousculées (dixit M. Mélançon), peut-être l’avis de deux hommes très estimables et d’une intelligence incontestable pourrait-il être retenu. Celui de Simon Leys, sinologue et bon connaisseur de l’art chinois, dont Olivier Todd a recueilli l’avis sur un extrait très court (quatorze lignes) du Musée imaginaire relatif à la relation de l’Asie avec le musée. La réponse est éclairante et, à vrai dire, conforme à Duthuit : « Le passage contient 1° des généralisations abusives […] 2° des bribes d’informations exactes […] 3° des oppositions arbitraires […] 4° des affirmations arbitraires […] 5° une conclusion superficielle […]. »
Ensuite, celui de Jean-François Revel, dont l’extrait suivant du Voleur dans la maison vide, peut servir de conclusion : « Le vide créé par l’ignorance où se trouvaient les Français de tous les développements de l’histoire de l’art sérieuse qui avait eu lieu durant les quarante années antérieures, était rempli par la grandiloquence chevrotante et l’emphase creuse de rhéteurs prétentieux, tels Élie Faure et André Malraux, qui ne faisaient qu’encourager notre penchant national pour le verbiage historico-mondial de deuxième main et pour la vulgarisation ampoulée, aux déclamatoires prétentions métaphysiques. Ces patenôtres pâteuses, jalonnées de rapprochements vertigineux et d’enjambements racoleurs, flattaient malheureusement le public ivre de mots en lui communiquant l’illusion d’accéder aux cimes d’une critique visionnaire et transcendante, dédaigneuse du détail mesquin et de la sordide exactitude. Ces vendeurs d’orviétan lui fournissaient tout empaquetée l’intuition à prix fixe de trois millénaires en quatre paragraphes. Rien ne pouvait éloigner davantage de la compréhension et de la poésie de l’œuvre d’art. »

 

Jacques Haussy


M. Haussy s'est donné pour mission de démystifier l'œuvre, la vie et la personne d'André Malraux ; il a créé à cette fin un site (http://pagesperso-orange.fr/malraux). Chacun peut occuper ses loisirs comme il le souhaite, y compris à détester un écrivain et un homme public qui l'obsède. Sa lettre relative à mon compte rendu des Écrits sur l'art n'appelle donc pas de réponse, chacun pouvant juger une œuvre comme il l'entend. On me permettra néanmoins quelques observations. Il est vrai que Georges Duthuit a relevé des erreurs dans l'œuvre de Malraux, mais pas autant qu'il le prétendait, et en caricaturant grossièrement cette œuvre ; Malraux ne laisse nullement entendre que « Bouddha, c'est [...] Apollon qui fait la danse du ventre ... Surtout, Le Musée inimaginable de Duthuit laisse en suspens une question : ces erreurs, omissions et généralisations, dont Malraux n'est pas plus coupable que les historiens de l'art qui ont tenté d'embrasser tout l'art du monde -disons Ernst Gombrich ou H.W. Janson -, invalident-elles sa pensée ? Faut-il rappeler que La Métamorphose des dieux n'est pas un travail d'histoire de l'art mais une méditation sur le fait de l'art et sur sa signification philosophique, sinon religieuse ? Aussi, Jean-François Revel s'est-t-i! trompé de cible en accusant Malraux de manquer aux devoirs de l'historien. Par ailleurs, si désireux que soit M. Haussy de discréditer l'auteur du Musée imaginaire, il ne peut escamoter certains faits qui l'irritent : Ernst Gombrich a bel et bien souligné dans Art and Illusion, en 1960, l'importance des « passionnants ouvrages sur la Psychologie de l'art » de Malraux, en corrigeant le compte rendu hostile qu'il en avait publié, en 1954. Enfin, c'est un procédé inqualifiable d'insinuer qu'André Chastel a manqué à la probité lorsqu'il a écrit son admiration pour Malraux : il est vrai que le jugement nuancé de ce grand historien de l'art est gênant pour qui veut dénier toute valeur aux Voix du silence.


Robert Melançon



Votre rédacteur Robert Melançon s'est livré, en réponse à ma lettre, à une défense lamentable de son point de vue.
Je passe sur son appréciation de mes loisirs et de mes obsessions supposées, qui ne le regardent pas, et sur la formule méprisante "n'appelle donc pas de réponse" - le lien logique impliqué par "donc" n'est pas évident, et la production ensuite de seize lignes de texte dénotent une certaine confusion dans la rationalité de leur auteur.
Je relève deux fautes graves.
D'abord une citation tronquée qui fait exprimer à Ernst Gombrich le contraire de son opinion : s'il écrit bien dans L'art et l'illusion (p. 46) "André Malraux [...] ses passionnants ouvrages sur La Psychologie de l'art", c'est pour ajouter quelques lignes plus loin "Cependant, en dépit de tout son attrait et malgré certains remarquables aperçus psychologiques, l'ouvrage de Malraux ne nous donne pas ce que nous avait promis son titre : une psychologie de l'art".
L'autre faute grave est de m'accuser d'un "procédé inqualifiable" lorsque je récuse l'avis d'André Chastel du fait de sa proximité avec le Ministre des affaires culturelles. N'en déplaise à M. Melançon, M. Chastel était bien l'employé et l'obligé d'André Malraux. Son indépendance n'étant pas acquise, c'est manquer à une défiance élémentaire que de retenir son opinion sur les oeuvres de son employeur, quelles que soient la qualité et la sincérité du "grand historien de l'art".
La malrauxlâtrie de M. Melançon l'empêchera toujours d'admettre que les Écrits sur l'art de Malraux ne sont pas pris au sérieux par la plupart des experts indépendants et compétents, comme le constatent par exemple René Etiemble (Hygiène des Lettres III Savoir et Goût, 1958) : "tous les gens compétents avec qui j’ai parlé ou des Voix du Silence ou de la Métamorphose des Dieux en ont comme je fais déploré la grandiose légèreté " ou Maurice Nadeau (Une vie en littérature, 2002) : "Ses écrits sur l’art ? Excitants au possible. La risée des spécialistes… "
Tenez : dans la dernière livraison (Hiver 2008-2009) de la revue Commentaire paraît un texte important de Marc Fumaroli titré "Malraux et la fin du système français des Beaux-Arts". En voici un extrait : "Le Musée imaginaire d'André Malraux n'a jamais compté parmi mes livres de chevet [...] Après lecture, j'étais bien décidé à n'y jamais revenir et de m'en tenir à mes classiques d'alors [...] Ce livre culte fait partie des radotages dont est coutumier un temps amnésique et frivole."


© Jacques Haussy 23 octobre 2009