ANDRÉ MALRAUX PREMIER DANS LE SIÈCLE

ANDRÉ MALRAUX PREMIER DANS LE SIÈCLE, de Roger STÉPHANE, Gallimard, 1996

 

 

Le titre déjà pose question : en dehors de l’imposture, domaine dans lequel André Malraux a été un incontestable champion, on ne voit pas ce qui justifie un tel classement. On n’en saura d’ailleurs pas plus après avoir lu l’ouvrage.

 

On ne comprend pas non plus l’admiration indéfectible de Stéphane pour Malraux après qu’il ait entendu les énormités proférées devant lui par ce dernier au fil des années. A commencer par le « s’il vous plaît de jouer au petit soldat » alors qu’il venait lui annoncer son engagement dans un réseau de résistance. Ici, Stéphane rapporte deux réponses à la question posée en 1967 « Pourquoi diable la Chine vous intéresse-t-elle [en 1923] ? » : « J’ai été attiré par l’Asie entre autres parce que l’histoire était en train de s’y faire » et « Je pense qu’à cette époque, pour moi, la Chine et l’Indochine représentaient l’autre pôle de l’esprit. » Stéphane n’a aucun mal à démontrer la stupidité de ces réponses (pp. 28 à 30).

 

On croyait établi depuis la publication des souvenirs de Clara Malraux (Les Combats et les Jeux, Grasset, 1969, pp. 211 à 220) que son mari et elle n’avaient pas mis les pieds en Chine en 1925, mais seulement à Hong Kong avec une excursion à Macao. C’est d’ailleurs ce que les meilleurs biographes accréditent, à commencer par Lacouture en 1973 (pp. 87-88 ; il reproduit que les « fausses vacances » ont duré quatre ou cinq jours), Curtis Cate (pp. 135-136 ; un soir Clara, fatiguée, n’a pas voulu aller voir à Kowloon le film de Max Linder L’Étroit Mousquetaire : ceci n’implique pas cependant qu’ils n’aient pas mis le pied sur le continent à une autre occasion), et Olivier Todd (p. 73, et 623 n. 1 dans laquelle on lit : « Il n’a pas été à Canton, alors »). Voilà pourtant coup sur coup deux auteurs (avec Rémi Kauffer) qui, pour les besoins de leur thèse, les font séjourner à Canton, sur la foi d’un témoignage (de seconde main) de Paul Morand : « Août 1925, j’arrivais à Hong Kong par le Nord […]. Exactement à la même date, Malraux arrivait à Canton, venant de Saigon. » (Papiers d’identité, Grasset, pp. 168 à 173).

 

L’aveuglement iconolâtre de Stéphane le fait parler bien entendu d’un « combat anticolonialiste » (p. 39). Pourtant, quelques pages plus loin, un extrait (p. 48) du dernier éditorial de L’Indochine (14 août 1925) montre Malraux donnant des conseils au Gouverneur général : « [Ce jeune annamite] a l’âme d’un chef. C’est sur lui que nous devons appuyer notre colonisation. » Curieux anticolonialisme !

 

Et puis les ratiocinations habituelles sur Borodine, Gallen, Garine et Hong…

Bref, cet « exercice d’admiration » comme l’appelle le préfacier Daniel Rondeau, est pénible et, à vrai dire, sans intérêt.

 

 

© Jacques Haussy, mai 2003