L

L’écrivain engagé et ses ambivalences, de Herbert LOTTMAN, Odile Jacob, 2003

 

 

Herbert Lottman donne dans l’introduction sa définition de l’écrivain engagé :« celui (ou celle) qui, s’appuyant sur une œuvre déjà conséquente, a placé son nom, respecté et admiré, au service d’une cause. La réputation précède l’engagement et lui confère du poids. » Un doute lui vient alors quant à André Malraux qui a dit à Clara : « Pour atteindre le public, il est bon que quelque chose de plus que l’œuvre lui soit offert, biographie surprenante, notoriété préalable. » Mais il balaie aussitôt cette hésitation : « Malraux ne devint véritablement militant qu’après avoir écrit les livres qui passeront à la postérité… » Soit. Sauf que Lottman lui-même se contredit au chapitre « Malraux et son double » : « Ainsi, grâce à la ² biographie surprenante² échafaudée par Malraux, sa ² notoriété préalable² était désormais établie, et ses premiers ouvrages pouvaient être livrés à un public qui les attendait. »

 

De telles ambiguïtés seront rencontrées tout au long du court chapitre (18 pages, plus de deux fois moins que le chapitre consacré à George Sand qui est le meilleur du livre). Dans sa jeunesse « le sentiment de la révolte » et « le sens de l’injustice », mais quelques lignes plus loin « une alliance intellectuelle … avec les réactionnaires et nationalistes… Maurice Barrès et Charles Maurras. » L’expédition au Cambodge « pour étayer sa conviction que l’Orient pouvait servir de modèle l’Occident en matière de responsabilité collective, par sa façon d’intégrer l’individu au social » ou « afin d’en rapporter les précieuses statues et de les vendre aux Etats-Unis » ? Et ainsi de suite : Monsieur Lottman ne se mouille pas, et ne veut pas faire la part de la légende et de la réalité. De plus il se trompe souvent :

- « … lorsque Malraux s’envola pour une de ses missions - mais comme pilote bien sûr… »

M. Lottman doit être un des derniers à croire que Malraux ait été pilote en Espagne.

- « … il se porta volontaire comme simple soldat dans le corps des chars d’assaut alors même qu’il aurait pu prétendre à bien des postes plus en vue. »

Eh non, dans l’armée française il n’était même pas simple soldat, il était réformé définitif. Il a fallu qu’il intrigue pour être incorporé.

- « il refusa d’être publié dans Paris occupé… »

M. Lottman avait déjà fait la même erreur dans un ouvrage précédent L’épuration (Fayard, 1986). Rappelons que Malraux était mis à l’index du fait de l’inscription de deux de ses livres, Le Temps du mépris et L’Espoir sur la « liste Otto » d’ouvrages interdits par l’occupant.

 

Et puis, une place très excessive faite à l’épisode « Reine de Saba », des développements sur Drieu la Rochelle hors de propos… Bref, quoique meilleur, sur un sujet voisin, que Michel Winock, Herbert Lottman a écrit un chapitre sur Malraux fort décevant, même s’il se permet des insolences à l’égard du héros national français : « [son ambition démesurée] expliquerait les fréquents raccourcis qu’il prit, ses marches arrière, ses expédients et les multiples bobards qu’il raconta. Il était prêt à tout dès lors que cela pouvait le rapprocher de son but. »

En fait, les faiblesses du livre proviennent d’abord et avant tout des incertitudes biographiques. Quand disposera-t-on enfin d’une biographie sérieuse d’André Malraux ?

 

 

© Jacques Haussy, mars 2004