Barthes lecteur de Malraux

Barthes lecteur de Malraux : une occultation terroriste, de Julien dieudonné, http://www.andremalraux.com/malraux/articles/barthes.htm

 

 

Un personnage dans Candide raconte (chapitre XXI) qu’il a été correcteur d’imprimerie à Paris et que dans cette profession il a rencontré « la canaille écrivante ». C’est là assurément une catégorie de crapules particulièrement méprisable, parmi laquelle il faudrait encore distinguer les pires, les universitaires, qui, non contents d’user de leur instruction, de leur savoir et de leur situation pour tromper et mystifier comme une canaille écrivante ordinaire, trahissent la mission d’éducation et de connaissance qui leur a été confiée par la Société, qui les appointe. Exemple dans le monde médical : colloque au Sénat à Paris les 18 et 19 mars 2005 sur le « syndrome Gilles de la Tourette » (voir article du Figaro des 19-20 mars). Un professeur de médecine monte à la tribune pour parler du cas d’André Malraux dont il a fait un sujet d’étude. Sa conclusion : Malraux n’a pas été affecté par cette maladie puisqu’il a pu exercer sans dommage entre autres son activité de… pilote de chasse ! Notre professeur ignorerait donc, outre qu’André Malraux n’a jamais piloté aucun avion, mais que la réalité est tout autre et qu’au contraire son affection l’handicapait fortement (voir TH Vilmorin sur ce site : « [il] avait des gestes très précis, mais qui ne lui servaient pas à des actions pratiques. Il ne savait pas conduire, il me demandait de lui boutonner le col de sa chemise, et Terzo de tailler son crayon ou d’ouvrir le tube de colle qu’il avait revissé de travers… »)

 

Le Centre d’études André Malraux

Beaucoup d’universitaires spécialisés dans l’étude d’André Malraux se sont regroupés dans un « Centre d’études André Malraux » (CEAM) qui constituait, avec 5 autres équipes, la « Formation de recherche 2332 » de l’Université Paris 3-Sorbonne nouvelle. Satisfait sans doute de leurs travaux, le CNRS s’est associé récemment à cette FRE 2332 qui est devenue « Unité mixte de recherche 7171 Ecritures de la modernité », tandis qu’était ajouté à l’intitulé CEAM le complément « et des littératures engagées », c’est-à-dire que Sartre par exemple est désormais dans le champ d’études de ce centre. Qui est son responsable ? Jeanyves Guérin ! On comprend tout de suite que l’objectivité et l’impartialité académiques vont être à l’honneur ! (voir Ad Guérin sur ce site - description de l’unité, présentation, annuaire… à l’adresse internet : http://www.univ-paris3.fr/recherche/sites/edlfc/fre2332/fre_index.html ).

L’annuaire de la CEAMLE comporte une trentaine de noms. Tous des malreauxlâtres ? Assurément non : des universitaires (une minorité toutefois, autant qu’on puisse en juger) font preuve de la rigueur et du sérieux attendus, comme par exemple Geoffrey T. Harris. Mais les adorateurs inconditionnels sont là : Christiane Moatti, François et Michaël de Saint-Chéron… si tous n’y sont pas : il manque par exemple Adrien Goetz (voir Ad Goetz sur ce site).

 

[à propos : ce M. Goetz rend compte de l’exposition Sartre de la BnF dans Zurban n° 239 du 23 au 29 mars. Des erreurs, des coups de pied de l’âne à Sartre, parmi lesquels la saloperie, la calomnie « malrucienne », dont Guérin avait déjà fait ses choux gras (voir Ad Guérin ; voir aussi Ad Amadou) : « Ce qui lui importe, y compris sous l’Occupation, c’est de faire jouer ses pièces. » Malraux était le dernier à pouvoir accuser Sartre de collaboration, lui qui avait accueilli comme on sait les propositions de Sartre et de Beauvoir venus en septembre 1941 dans sa villa du Cap d’Ail tenter de le rallier à leur action de résistance.]

 

Répétons le : c’est la falsification des faits et le mensonge qui posent problème chez les universitaires : on espère d’eux une ambition d’objectivité, d’impartialité et de désintéressement. Que des admirateurs de Malraux se réunissent en association privée destinée à célébrer leur idole, pourquoi pas ? Il est bien par exemple une « association amicale d’amateurs d’andouillette authentique » (qui délivre d’ailleurs un label « AAAAA » fort utile). Ainsi, les « Amitiés internationales André Malraux » (voir site http://www.andremalraux.com) se sont donnés pour missions d’ « honorer la mémoire d’André Malraux » et de « faire connaître les multiples formes de son génie ». Soit. On ne s’attend donc pas à trouver dans leurs publications des critiques du grand homme (ce n’est pas pour autant qu’ils soient autorisés à mystifier en parlant de « l’écrivain engagé contre le colonialisme » par exemple…). Des universitaires, eux, doivent oublier leurs préjugés et leurs préférences, ce que, hélas, ils font trop rarement s’agissant de Malraux. Leur voix en est ainsi dévaluée. Julien Dieudonné, lui-même malreauxlâtre éperdu, le reconnaît en écrivant dans l’article référencé dans le titre ci-dessus : « … l’étroit cercle des spécialistes, forcément suspect de partialité » ou « …soit qu’elle [la critique universitaire malrucienne] ait pris le parti du grand écrivain et du grand homme contre ses contempteurs quitte à verser dans une direction hagiographique, soit qu’elle ait souvent commencé par lire les textes malruciens d’un point de vue thématique, historique ou philosophique. » Le culte ou la glose en somme…

 

Julien Dieudonné

Le Centre d’études André Malraux bénéficie d’une tribune semi-officielle, la « Revue des lettres modernes - André Malraux » aux éditions « Lettres modernes - Minard », qui sera désignée désormais par l’abrégé RLM suivi du numéro du volume. Onze volumes sont parus à ce jour, disponibles facilement à Paris (Bpi, Bibliothèques de la Ville de Paris, notamment). C’est donc surtout dans ces ouvrages qu’on pourra apprécier l’objectivité et la qualité des travaux des professeurs membres du CEAM - on se fera un devoir d’en rendre compte dans des articles à venir.

Voyons Julien Dieudonné, que l’annuaire présente comme post-doctorant à Paris 3. Il a écrit dans la RLM 11 un compte-rendu de la lecture du Malraux en Espagne de Paul Nothomb (voir TH Nothomb, Gisclon, Kauffer, Todd 2 sur ce site, et Malraux grand homme ?). On assiste à un assentiment aveugle aux mensonges et falsifications de Nothomb, ainsi qu’une flagornerie indignes d’un homme supposé connaître tous les témoignages relatifs à la guerre d’Espagne de Malraux : pour lui l’ouvrage « réunit l’honnêteté du témoignage, la qualité de l’écriture et la beauté de l’iconographie… » !

Un article trouvé sur le site de l’AIAM porte un titre alléchant : Barthes lecteur de Malraux. Connaissant la parole libre, les talents de critique littéraire et le zèle à pourfendre les mythes, de Barthes, voilà qui promet. La deuxième partie du titre une occultation terroriste cependant intrigue : Barthes passerait Malraux sous silence, de façon terroriste ?!

 

[En fait il s’agit de terrorisme à la Jean Paulhan, tel qu’il le définit dans Les Fleurs de Tarbes ou La Terreur dans les Lettres, un opuscule sans grand intérêt sur la critique littéraire et le langage. Jean Paulhan est l’autre sujet d’étude de Julien Dieudonné. Pauvre homme qui consacre sa vie à deux tels manipulateurs et illusionnistes ! Ce Paulhan que René Etiemble qualifia de tyran hypocrite, cruel et féroce, « sadique et faux-jeton », dans ses Lignes d’une vie (Arléa, 1988). Maurice Nadeau en fait aussi un portrait épouvantable dans son Grâces leur soient rendues (Albin Michel, 1990).]

 

Dieudonné commence son article par le constat d’un accueil « critique » et médiatique de la biographie d’Olivier Todd « hors du commun ». Certes. Mais là où chacun pouvait remarquer partout la considération et la révérence pour le sujet d’investigation de Todd (à l’exception de France Soir et Le Point, voir à ces titres (TH)  sur ce site), Dieudonné a vu des félicitations à « une démystification réussie », et, pour lui « tout s’est passé comme si l’ouvrage de Todd levait un tabou, et permettait qu’enfin et au grand jour éclate une imposture : l’imposture d’un faux grand homme, dont les rendez-vous réguliers avec l’Histoire auraient été autant de fiascos, et surtout d’un faux grand écrivain dont la création serait surestimée. » Hélas, non, il n’en a pas été ainsi (voir Di Article sur ce site) : Todd a été très respectueux du grand homme dans son livre et les médias lui en faisaient fête. L’échéance du déboulonnage que redoute Dieudonné est cependant inéluctable et se rapproche, car la vérité finit toujours par vaincre.

En dehors de cette appréciation générale erronée, une seule critique précise de Dieudonné à l’égard de Todd : il aurait fait de Malraux « un zélateur de Staline », alors que « au premier congrès des écrivains soviétiques de Moscou, en août 1934, [Malraux] ose dénoncer le dogme du réalisme socialiste et affirmer le droit imprescriptible de l’artiste à créer hors de toute doctrine idéologique. » Todd parle au contraire - abusivement - de « crime de lèse-Staline » (p. 180), et il importe peu que Malraux ait répondu à Nikouline le lendemain ou le jour même de son intervention, ou qu’il ait soit-disant répondu à Radek, alors que celui-ci a parlé après lui (ce sont là deux reproches faits à Todd), mais ce qu’il faut retenir c’est ce qu’en disait déjà Lacouture, peu suspect de critique excessive - il continue même à le croire « révolutionnaire » ! : « C’est décidément sur le plan du " compagnon de route" qu’il se place, du révolutionnaire antifascite non marxiste. C’est à ce titre qu’il est considéré, admiré avec réserve, et utilisé à profusion. » (p. 158)

 

Roland Barthes

Barthes ? Le voilà : il serait archétypique du milieu intellectuel et universitaire chez qui Malraux « jouit… d’une singulière désaffection ».

Désaffection est un mot faible s’agissant de Barthes, puisque, remarque Dieudonné, dans les plus de 7700 pages des cinq tomes de la nouvelle édition des Œuvres complètes (Seuil, 2002), « on ne compte qu’un seul texte réellement consacré à Malraux », lequel est tout entier dans : « Ce qui me dépaysait en lui, c’est que j’avais l’impression qu’il était intelligent par hasard » (Le nouvel Observateur, 23 novembre 1976). Dieudonné commente : « C’est laconique. On ne peut même pas dire que ce soit poli. » En effet, c’est même insultant, puisque ça signifie, traduit vulgairement : « C’est un con »

En fait, Dieudonné mentionne aussi un autre texte, paru dans Les Lettres Nouvelles en avril 1959, sur la réforme des théâtres nationaux entreprise par le Ministre de la Culture, et son action dans ce domaine, que Barthes conteste avec vigueur dans cet article. Les faits lui ont hélas donné raison, comme le montre Lacouture dans des lignes cinglantes sur l’action de Malraux pour le théâtre (pp. 388-389) : « Sur ce point - et sur quelques autres qui ne sont pas les plus beaux - la Vème République fait penser au second Empire. Sous Malraux, le théâtre français connut une seconde ère Meilhac et Halévy. »

Et puis c’est tout : des mentions de Malraux par Barthes ici ou là, lorsqu’il s’agit de constater et commenter la disparition des « grantécrivains » par exemple. Ce qui sert de prétexte à Dieudonné pour s’essayer à une critique timide de Barthes…

 

Monsieur Dieudonné, vous êtes persuadé qu’André Malraux est un vrai grand homme et un vrai grand écrivain. Faites nous en la démonstration, sans mentir, sans falsifier les faits, et en vous efforçant à l’honnêteté : nous sommes prêt à vous croire.

 

 

© Jacques Haussy, mars 2005