MALRAUX

MALRAUX, épidémiologie d’une légende, de Olivier TODD, http://www.asmp.fr/travaux/communications/2003/todd.htm

 

 

Dans le périple mondial de promotion de son livre sur Malraux, Olivier Todd s’est arrêté le 3 novembre 2003 à l’Académie des sciences morales et politiques, où il a fait une communication orale transcrite à l'adresse ci-dessus. Il expose une synthèse de son ouvrage dans laquelle il persiste à surestimer l’action du grand homme en Espagne et avec la Brigade Alsace-Lorraine (par insuffisance d’enquête, comme on l’a montré - voir sur ce site TH Gisclon, Todd et Todd 2 notamment) : « On peut rappeler qu’il a joué un certain rôle, même si l’on est amené à se poser des questions, en Espagne ; qu’il a, j’insiste sur ce point, été à la tête de la brigade Alsace-Lorraine après la résistance et qu’il l’a été beaucoup plus courageusement qu’on peut le croire… Il y a des côtés positifs chez Malraux… » Mais sur la Résistance son appréciation est nette et franche : « Je pèse mes mots, il n’y a pas eu de résistance de Malraux, même si beaucoup de gens en France, dans tous les domaines et dans tous les partis, à l’extrême gauche et à l’extrême droite souvent, refusent de le croire et de l’admettre. » Il développe ses arguments, puis se pose une question intéressante, à laquelle il apporte des réponses : « Qui sont les responsables de la légende Malraux ?… Malraux lui-même… le général Jacquot… Georges Pompidou… le général de Gaulle… Des journalistes aussi, … Jean Lacouture… André Brincourt… Il y a eu également une omerta politique de certains gaullistes et de certains communistes pendant la Résistance. Il fallait que des gaullistes et des communistes soient intronisés résistants et c’était du donnant-donnant. » Jean Lacouture est accusé d’avoir « renforcé la légende en ne vérifiant pas [ses] sources. En 1996, au moment de la panthéonisation de Malraux, Lacouture a écrit dans un article du Nouvel Observateur que Malraux avait été résistant et il lui a attribué de surcroît la victoire de l’aviation espagnole, allant jusqu’à écrire que l’escadrille de Malraux était la seule au service de la république espagnole ! » Peu confraternel, mais rigoureusement exact !…

 

Les académiciens

Le débat qui a suivi la communication de Todd est passionnant car il permet de mesurer en quelle estime les membres de cette assemblée éminente tiennent André Malraux. La surprise est grande, car à une ou deux exceptions près, aucun parmi la douzaine d’intervenants ne prendra sa défense et, au contraire la plupart donneront des raisons supplémentaires de le mépriser. A commencer par Pierre Messmer, que Jacques Chirac désignait pourtant comme l’inventeur de l’idée de la panthéonisation (dans l’entretien au Figaro publié le 23 novembre 1996). Il rapporte le récit que lui a fait « un jeune Mosellan qui était sergent dans cette brigade [Alsace-Lorraine]… : Malraux ne donnait jamais d’ordres, mais il faisait de si beaux discours ! » On se souvient alors de l’anecdote racontée par Léon Mercadet (La Brigade Alsace-Lorraine, Grasset, 1984) : « la fameuse phrase… " Je salue vos morts d’hier et ceux de demain" … il l’avait répétée devant toutes les unités et dans les décors les plus variés… Après ça, certains prenaient leurs cliques et leurs claques et on ne les revoyait plus. »

Un autre intervenant, Roland Drago, fait remarquer que « Dans ses mémoires écrites après la guerre, Georges Duhamel raconte comment il est reçu par la brigade Alsace-Lorraine durant l’hiver 44-45. Il évoque l’abondance des mets et des vins ainsi que l’agitation effrénée qui régnait dans la maison de l’état-major. Il n’en dit pas plus. J’aimerais savoir quel a été le rôle exact de la brigade Alsace-Lorraine… » Bonne question à laquelle il n’est pas apporté de réponse dans la biographie de Todd ! Il note ensuite que les « moutons des tabors » figurant dans le discours à Jean Moulin n’étaient certainement pas emmenés au moment de l’attaque…

Jean Tulard apporte une information importante : « [Malraux] serait l’auteur du film L’Espoir, mais qui fut en réalité tourné par un critique belge, Denis Marion, que j’ai bien connu à la cinémathèque de Bruxelles. Malraux n’a à peu près rien fait en dehors du scénario. »

Thierry de Montbrial observe que « les " grands hommes" sont souvent des cas pathologiques sur le plan psychiatrique » et que « souvent les mythomanes réussissent »…

Un plaidoyer pour Malraux revient à Claude Dulong-Sainteny qui objecte : « Malgré les " moutons des Thabor" , existe-t-il une oraison funèbre plus émouvante - et je n’oublie pas Bossuet - que celle de Jean Moulin, lors du transfert de ses cendres au Panthéon ? » On examinera dans une prochaine chronique ces oraisons funèbres de Malraux qui continuent en effet de passer pour géniales et exemplaires.

 

Pour conclure, tristement mais pertinemment, laissons la parole à Alain Besançon : « Cet exposé m’a laissé une impression de tristesse, moins pour Malraux que pour la France, qui a éprouvé le besoin de canoniser les guignolades et la légende de Malraux. »

 

 

© Jacques Haussy, mai 2005