ANDRE MALRAUX UNE VIE

ANDRE MALRAUX UNE VIE, de Olivier TODD, Gallimard, 2001

(suite)

 

La lecture des ouvrages de Coustellier et Gisclon (voir ces noms sur ce site) conduit à reconsidérer la biographie d’Olivier Todd pour les périodes guerre d’Espagne et Résistance/brigade Alsace-Lorraine. Le témoignage capital de ces deux auteurs n’a pas été utilisé, alors même qu’ils présentent un point de vue assez différent de celui des témoins habituellement consultés, lesquels ont été, le plus souvent, à des degrés divers, des proches de Malraux, des employés et des obligés (Nothomb, Beuret, Grosjean, Lescure, Stéphane…). Leur impartialité doit donc être contestée, alors que l’indépendance de Coustellier et Gisclon est manifeste. On dira peut-être, comme pour Ignacio Hidalgo de Cisneros, que Coustellier était communiste et, de ce fait, hostile au gaulliste Malraux. Outre que les communistes ont récupéré Malraux depuis longtemps et que Robert Hue figurait en bonne place devant le Panthéon un soir de panthéonade en novembre 1996, on ne voit pas pourquoi le témoignage d’un adversaire politique aurait moins de valeur que celui d’un prébendier de Malraux, de plus intéressé à la création et à la perpétuation du mythe.

L’incompétence, l’inefficacité et même la nocivité - « plus une charge qu’une aide » selon Cisneros - de Malraux combattant étaient connues, mais Todd continue de le croire « un vrai chef » (p. 273), alors qu'il était de plus dépourvu d'autorité et déconsidéré. Il persiste tout au long de son livre à lui octroyer une vertu mythique : la fraternité. Malraux était sans doute fraternel pour ceux qu’il avait séduits, pour les autres, les plus nombreux, il était méprisable. Sa prétention, sa morgue, sa dangereuse inaptitude au métier des armes et à la clandestinité, ses mensonges, sa suspecte immunité auprès de ses geôliers SS, ont failli lui valoir de finir ses jours le 8 septembre 1944, ficelé au fond d’un puits par les soins d’un « compagnon d’armes ». Drôle de fraternité !

 

La brigade Alsace-Lorraine

S’agissant de la période « Brigade Alsace-Lorraine », Olivier Todd n’est pas mieux informé et inspiré, comme on l’a déjà vu pour la « libération de Strasbourg » (voir Todd sur ce site). En fait, ici aussi, Todd croit que Malraux était un vrai chef, alors qu’il n’était utilisé que pour ses qualités décoratives. Ce que confirme Bernard Metz, qui répond à la question « Malraux était-il un emblème ou un chef de guerre ? » : « Plutôt un emblème… » (voir Malraux grand homme ? Page 52). De plus, le rôle exact de l’unité est survalorisé par Todd : il ne s’agit pas d’ « appuyer des chars, opération délicate et dangereuse pour des fantassins » (p. 355), mais d’accompagner à distance dans des opérations de nettoyage la progression des hommes d’unités blindées (1ère DB, puis 5ème DB), ce que décrit bien « le journal de route du lieutenant Michel Holl » (p. 360) : « … départ à 14 h. pour le nettoyage d’un bois… libéré depuis midi par une unité de chars et la Légion. »

René Coustellier rapporte à sa façon laconique le récit que lui a fait de sa campagne dans la « brigade » un ancien des FTP rencontré le 12 octobre à Agen (p. 380) : « Le dénommé Jacquot entré dans la Résistance au cours de la deuxième quinzaine de juillet 1944, devenu leur commandant, leur avait dit en partant de Brive : " Nous sommes la brigade Alsace-Lorraine, Malraux est notre colonel."

- J’ai vu celui-ci, me dit [Jim], une seule fois : le jour de notre arrivée, c’est tout. Le lendemain, ils nous ont envoyés, avant tous les autres, y compris les FFL, pour traverser un pont sur le Rhin, et je me suis retrouvé à l’hôpital. J’ai eu la chance de tomber parmi les premiers, avant même de mettre un pied sur le pont. Maintenant, je suis ici, pour moi la guerre est finie.

Jim eut la chance de ne pas être tué. Pour ses blessures il serait décoré et obtiendrait une bonne pension.

Par la suite, loin du lieu de la tuerie, il y a toujours une prise d’armes, où les sacrifiés sont décorés à titre posthume et sont appelés héros. »

En marge de cet extrait, on apprend que Jim avait dû quitter la tête de son groupe FTP au cours de l’automne 1943 à la suite de graves erreurs, et que son remplaçant, Alfred, après avoir bien combattu et perdu un être cher, « une fois la guerre terminée, il reprit sa vie de simple travailleur, sans fausse gloire, sans pension, en conservant l’amitié et l’amour fraternel de ses camarades de combat. » Pour Coustellier, les vrais héros ne sont pas toujours ceux qui plastronnent lors des commémorations en arborant des médailles.

 

André Malraux a été particulièrement avide et efficace pour usurper des décorations. Guy Penaud l’avait déjà dévoilé (André Malraux et la Résistance, Fanlac, 1986), mais Olivier Todd apporte les preuves et réalise une enquête qui est une des meilleures parties de son livre. Et Malraux ne mérite pas le mépris ?

 

 

© Jacques Haussy, mars 2003