GRâCE à DRIEU

GRâCE à DRIEU ?, de Benoit SALSES, article dans Le Point, Numéro 1497, 25 mai 2001

 

 

On a déjà dit combien l'article critique de Laurent Theis sur la biographie d'Olivier Todd, paru dans Le Point (voir Cate/Enthoven) était pertinent, même si l'imputation du tropisme menteur et falsificateur de Malraux au syndrome Gilles de la Tourrette est abusive, et si la reprise des erreurs de Todd (l'absence de mesquinerie de Malraux par exemple) aurait pu être évitée. Un article-reportage concomitant de Benoit Salses est passionnant. Il est reproduit in extenso ci-dessous malgré sa longueur, car ses accusations sont graves, quoique déjà exprimées par René Coustellier dans son ouvrage sur le Groupe Soleil (voir Coustellier). Il est suivi d'une lettre de Jacques Poirier au magazine qui ne l'a pas publiée, et qu'a reprise l'Association Amitiés internationales André Malraux dans ses Cahiers, avec un commentaire que l'on appréciera. Poirier était le délégué des services britanniques qui a été la caution de Malraux pour son entrée dans la Résistance et son mensonge sur le mandat qu'il aurait reçu du CNR (Conseil national de la Résistance). On notera qu'il se contente de reprocher au Point de ternir l'aura de Malraux et de la Résistance, mais qu'il ne dément aucune des informations de l'article. Il les avalise donc toutes, ce qui n'était pas toujours nécessaire, sur la protection dont a bénéficié Malraux par exemple. On aurait aimé néanmoins connaître ce qu'il a su de l'exécution de Courouge.

 

 

 

Grâce à Drieu La Rochelle ?                  PAR BENOIT SALSES
 
« Le plus incroyable, c'est qu'il y ait tant à dire sur André Malraux et la Résistance alors qu'il n'a jamais directement participé à des opérations de résistance armée. Pourtant, chacun de ses pas entre Dordogne, Corrèze et Lot s'apparente à un roman d'aventure !» Cet embryon de conversation à l'emporte-pièce fut prononcé la semaine dernière, à Saint-Cyprien (Dordogne), dans une ferme où s'étaient rassemblés quelques anciens du maquis FTPF périgourdin autour de leur chef emblématique : René Coustellier, alias Soleil.
Comme tous les ans à la même époque, ces hommes qui ont joué leur jeunesse à la pointe des fusils revivent avec passion les combats clandestins. Leur âme et leurs souvenirs furent forgés sur la même enclume : celle de la Résistance. Et si Malraux figure dans leurs conversations enflammées, ce n'est jamais pour y tenir le « beau rôle ». Il est vrai que, parmi tous les mystères - ils sont fort nombreux -qui entourent l'attitude de l'ancien ministre de la Culture du général de Gaulle, il en est au moins deux qui ne cessent de hanter les soldats clandestins du Périgord noir. Pourquoi le « résistant » Malraux fut-il épargné par les nazis? Pourquoi faillit-il être exécuté par ses « amis » les maquisards?
Son arrestation, le 22 juillet 1944, pose en effet problème. Les Allemands, qui sentent que la fin est proche, tirent leurs dernières cartouches. Violemment. La répression est terrible, les interrogatoires sommaires, les exécutions rapides. Pour le secteur Corrèze-Lot-Dordogne, ce sont les Kampfgruppen Wilde et Hax qui sont chargés de «faire le ménage ».
Ces groupes de combat s'étaient révélés extraordinairement sanguinaires dans la région de Sarlat en juin 1944. Le 22 juillet, donc, ils quadrillent la région de Gramat, où roule Malraux. A la sortie d'un virage, un arbre est posé en travers de la route. Derrière le tronc, en embuscade, des soldats allemands. Ils tirent sans sommation sur la voiture de l'écrivain. Ils ont des ordres : pas de pitié ! Dans le traquenard, Malraux sera légèrement blessé puis arrêté. La question que posent les résistants est la suivante : « Pourquoi les Allemands - et surtout ce groupe de combat de la si redoutable 11e Panzer Division - épargnent-ils Malraux alors qu'ils venaient d'essayer de le tuer ? » Très probablement parce que Drieu la Rochelle avait expressément demandé à Otto Abetz, l'ambassadeur allemand à Paris, « qu'il n'arrive jamais rien à Malraux» et qu'en guise de protection l'écrivain portait tou­jours sur lui « un mot » de l'attaché culturel Karl Epting. Version fournie par Drieu lui-même (G. Heller, 1981, p. 48).
Pour René Coustellier, dont la gâchette était aussi sensible que son patriotisme, « Malraux avait des accointances avec les boches». Soleil vient de l'écrire dans un livre à paraître en septembre. Malraux, en tout cas, sera bien traité, très peu interrogé et enfermé le 2 août à la prison Saint-Michel de Toulouse, dans la même geôle qu'un maquereau et qu'un journaliste de la Dépêche, André Culot, résistant. Malraux raconte que c'est lui - et lui seul - qui a organisé l'évasion de tous les prisonniers toulousains. Ce que dément le journaliste Culot. Le 18 août, les Allemands quittent la Ville rose. Trois femmes, deux FTP et une prostituée, forcent la porte de la prison. La fille légère recherche son mac. Elle ouvre les geôles une à une et le trouve enfin.
Malraux est libre. En pyjama, il s'enfuira vers des jardins autour de Toulouse, puis rejoindra Agen et enfin la Dordogne. Au début du mois de septembre, il apprend qu'une importante réunion de la Résistance a lieu à Limoges. Il s'y rend pour tenter un dernier coup de bluff et essayer de devenir le patron régional des FFI. Tous les chefs historiques sont là, y compris Etienne Fajon. Ils manifestent une hostilité réelle à l'encontre de l'écrivain. Soleil aussi est présent. Il est persuadé depuis longtemps que Malraux collabore avec les allemands : « C'est lui qui a abattu Courouge, un gestapiste français que j'avais arrêté et que je voulais interroger. Malraux l'a tué avant que je le fasse parler. Il l'a exécuté pour qu'il ne dise pas qui avait des relations avec les boches... » croit Soleil. La réunion est houleuse. Malraux quitte la salle. On le siffle ! Soleil donne des ordres à trois de ses hommes. Ils l'arrêtent, le bâillonnent, le ficellent et le mettent dans le coffre d'une vieille Dodge. En route pour le sud de la Dordogne vers le lieu-dit « La Cabane». C'est là que Soleil veut jeter Malraux au fond d'un puits. Avant, il lui ôte son bâillon. Malraux s'écrie : « Je sais que tu veux me tuer, mais tu as tort. On ne tue pas un prix Goncourt comme ça. Tu seras emmerdé toute ta vie !» Un compagnon de Soleil lui conseille de se couvrir. D'en référer plus haut. C'est ce qu'il fait. Il envoie un de ses hommes à Périgueux demander l'avis de Pat, autrement dit le communiste Marius Patinaud, qui deviendra secrétaire d'Etat au Travail à la Libération. Pat déteste Malraux. Il ne comprend pas comment il a pu être épargné lors de son arrestation. Il n'a pas non plus digéré l'affaire Courouge. Pourtant, il donne l'ordre de libérer Malraux. «C'est politique », expliquera-t-il. Ce mot résume magnifiquement l'aventure résistante d'André Malraux.
 
A lire: «André Malraux et la Résistance », de Guy Penaud, et «Le groupe Soleil dans la Résistance », de René Coustellier, les deux ouvrages aux éditions Fanlac (Périgueux).  
 
 
 
À propos de Malraux et de la Résistance
Une lettre de Jacques Poirier
   
Dans son numéro du 25 mai 2001, sous le titre « La légende Malraux » et sous la plume de Laurent Theis, l'hebdomadaire Le Point rend compte de la biographie d'Olivier Todd Malraux une vie. Le magazine prend surtout prétexte de ce compte-rendu pour publier un encart de Benoît Salses, qui, sous le titre « Grâce à Drieu la Rochelle ? » colporte les propos médisants, sinon calomnieux, de René Coustellier, alias Soleil, « chef emblématique de maquis FTP périgourdin » : Malraux n'aurait «jamais directement participé à des opérations de résistance armée ». Surtout, il aurait été épargné par les nazis après son arrestation le 22 juillet 1944 grâce à l'intervention de Drieu la Rochelle, qui aurait demandé à Otto Abetz, l'ambassadeur allemand à Paris, « qu'il n'arrive jamais rien à Malraux ». Mais René Coustellier va encore plus loin : « C'est lui [Malraux] qui a abattu Courouge, un gestapiste français que j'avais arrêté et que je voulais inter­roger. Malraux l'a tué avant que je le fasse parler. Il l'a exécuté pour qu'il ne dise pas qui avait des relations avec les boches... ». Il prétend même avoir voulu exécuter Malraux, qui n'aurait dû son salut qu'à l'intervention « politique » de Pat, alias Marias Patinaud, futur secrétaire d'Etat au Travail à la Libération.
A la suite de cet article, Jacques R. E. Poirier, ancien Résistant, a adressé au Point la lettre suivante, que l'hebdomadaire n'a pas cru bon de publier.
 
Paris, 4 juin 2001
« Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville, en s'y prenant bien » dixit de Beaumarchais.
Cette citation me fait penser à l'article de Benoit Salses, paru dans Le Point du 25 mai dernier sur André Malraux.
Cet article odieux discrédite votre hebdomadaire, pourtant normalement si intéres­sant.
Paul Nothomb (voir l'article de Ph. Nourry dans Le Point du 25/05/01) a précisé au cours de l'émission de B. Pivot, que Malraux était un précurseur dans la Résistance... n'avait-il pas combattu le fascisme pendant la guerre d'Espagne ? Parachuté en France d'Angleterre, j'ai travaillé étroitement avec le Colonel Berger (Malraux) pendant une bonne partie de la Résistance, je partage totalement ce point de vue.
Les élucubrations de Salses sont les fruits d'une imagination qui tendent à la destruction systématique d'un grand écrivain qui sut joindre les actes à la parole.
Si votre article est dommageable pour Malraux, il [l'] est encore plus pour la Résistance, à ce rythme... on n'en parlera plus dans dix ans... est-ce le but recherché ?
Jacques R. E. Poirier
Ancien Chef du réseau SOE/Digger
Officier de la Légion d'Honneur
Médaille de la Résistance
Croix de Guerre
DSO (Distinguished Service Order)
 
PS : Merci de faire paraître mon texte dans votre service « Les lecteurs écrivent ».
SOE signifie « Special Operations Executive ».  
 
Cahiers de l’Association Amitiés Internationales André Malraux, n° 2, hiver 2001-2002
 
 
décembre 2006