MALRAUX Défenseur DU PATRIMOINE

MALRAUX Défenseur DU PATRIMOINE ?

Sur France 5 a été diffusé le 5 novembre 2002 un film de Jean-Michel Djian et Joël Calmettes intitulé La Culture, une affaire d’État dans lequel est racontée la naissance et l’évolution du ministère de la culture. Un des tous premiers commentaires fait sursauter : « A peine installé Malraux prend des décisions liées au passé, à l’histoire, au patrimoine. En 1962, une loi protège les centres historiques de la destruction. Cinquante ans [sic] plus tard elle est toujours en vigueur. Action plus symbolique et plus visible, Malraux veut rendre à Paris, la capitale d’une France à nouveau fière et orgueilleuse, sa splendeur légendaire ». Cette opinion sur Malraux défenseur du patrimoine est si fréquemment exprimée - par exemple par Olivier Todd dans sa biographie (p. 607) - et si contraire aux faits, qu’il est nécessaire de l’examiner.

Évacuons d’abord la question du ravalement des bâtiments publics parisiens : cette action a été engagée par le préfet Pierre Sudreau sous la IVème République. Le même Sudreau célèbre pour avoir dit, en 1956, lors de l’abrogation de la hauteur limite de 31 mètres pour les immeubles parisiens, abrogation qui a permis les horreurs qui ont suivi (Maine-Montparnasse, quartier Italie, place des Fêtes, front de Seine, porte Maillot, Défense, Jussieu, etc.…)  : « Nous en finissons ainsi sur le plan vertical avec la politique du centimètre ».

Malraux a toujours été génial dans sa façon de s’approprier le travail de ceux qui sont au poste depuis la première heure, alors que lui-même n’est arrivé qu’à la onzième. C’est encore le cas avec la loi du 4 août 1962 qui porte son nom : l’auteur en est le sénateur Jacques de Maupéou. Cette loi permet aux investisseurs de déduire de leur revenu global l’ensemble des dépenses de travaux de rénovation, sans limitation de montant, dans des immeubles destinés à la location, à caractère historique situés dans des zones classées. De fait, quarante ans plus tard (si l’on compte bien), grâce à des améliorations et simplifications successives (les dernières en 1995), elle est toujours appliquée, mais de façon très épisodique et insuffisante, la bonne vieille loi du 2 mai 1930 « relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère historique, scientifique, légendaire ou pittoresque » étant plus efficace lorsque la volonté politique l’impose. André Fermigier relève ainsi dans un article du Nouvel Observateur du 26 mai 1969, près de 7 ans après la promulgation de la loi dite Malraux : « … sur 400 villes d’art, 35 seulement se sont vu attribuer des secteurs sauvegardés et, pour ces 35 villes, on ne peut compter aujourd’hui que 8 ou 10 chantiers opérationnels. » En tout état de cause, quelles que soient les qualités ou les insuffisances de cette loi, elle n’a pu empêcher les innombrables destructions de monuments dans cette période dite de « gaullisme immobilier » qui a été une des plus néfastes de l’histoire pour les atteintes au patrimoine français et les transformations du paysage urbain. Le livre Histoire du vandalisme, Les monuments détruits de l’art français de Louis Réau (Bouquins, Robert Laffont, 1994. Lecture hautement recommandable) le montre abondamment. Michel Fleury et Guy-Michel Leproux, auteurs de la partie relative à la cinquième république notent : « … les centres anciens des villes françaises ont connu les plus graves destructions de leur histoire.» Quant à André Fermigier, il écrit, dans l’article de 1969 déjà cité, à propos d’une autoroute prévue au travers du parc de Saint-Cloud : « Le parc de Saint-Cloud est classé ? Comme est classé le pavillon d’Artois, qu’il faudra détruire pour que s’engouffre à l’aise notre belle autoroute ? Qu’importe ! On demandera l’autorisation du ministre des Affaires culturelles. Il la donnera, n’en doutons point, couronnant ainsi en apothéose les fastes de son glorieux règne. Nous aurons peut-être demain un ministre de la Culture moins nul. Cela ne suffit pas et il n’y a de salut que si l’on élabore une nouvelle politique des monuments historiques. »

L’appréciation la plus cruelle sur l’action de Malraux ministre est donnée - involontairement - dans ce même film par Françoise Giroud lorsqu’elle dit, les yeux énamourés : « C’était un artiste, c’était un poète, un inventeur, un créateur extraordinaire… Pas vraiment un ministre parce qu’il y a des secteurs entiers dont il ne s’est pas occupé… Enfin, c’était pas vraiment un ministre - heureusement d’ailleurs, c’était pas ça qu’il fallait à ce moment là. »

ã Jacques Haussy - novembre 2002

Petit additif relatif à l'Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, appelé parfois Inventaire Malraux (à ne pas confondre avec l' Inventaire supplémentaire des monuments historiques, dans lequel sont inscrits des monuments historiques n'ayant pu faire l'objet d'un classement. Celui-là est dit Inventaire Mérimée. Le classement et l'inscription ont des incidences administratives - fiscales notamment). En mai 2003 a eu lieu à la BnF une journée d'études sur le sujet "Malraux et l'Inventaire général" dont les actes ont été publiés dans un numéro hors série des Cahiers de l'Association des Amitiés Internationales André Malraux. Extrait de l'intervention de Dominique Hervier et Francine Arnal : "…nous savons fort peu de choses sur le détail des circonstances dans lesquelles Malraux choisit d'adhérer à ce projet ; la légende masque très vite le déroulement historique, et lorsque l'entreprise apparaît au grand jour, dès le début des années 1960, et devient cet Inventaire Malraux... l'aura du ministre éclipse pour la société civile le rôle véritablement fondateur de l'universitaire André Chastel que seul le cercle restreint des historiens de l'art connaît bien. "

novembre 2006

Nouvel additif avec un extrait de Sur Malraux d'émile Biasini (Odile Jacob, 1999) : "Je crois honnête... de rendre à César la décision de ravaler Paris, toujours portée au crédit de Malraux : ce n'est pas lui qui l'a prise, mais, en 1956, le préfet Baylot, préfet de la Seine, qui a donné dix ans aux Parisiens pour ravaler leurs immeubles. Arrivé en 1959, Malraux a eu le mérite d'appuyer l'action de son directeur Perchey qui a su réaliser systématiquement et efficacement cette obligation pour les bâtiments publics : obtenir les moyens financiers, et en mettre au point les procédés techniques. L'image de Malraux en bénéficie encore." Alors, Baylot, ou Sudreau, ou les deux ?

décembre 2006