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MALRAUX DU FARFELU AU MIROBOLANT, Pol VANDROMME, La Fronde L’Âge d’Homme, Lausanne, 1996



Pascal Pia aurait tenu la plume d’André Malraux en leurs jeunes années. Voilà qui impose de relire tous ceux qui pourraient fournir des indices, à commencer par les biographes.

Par exemple, Sophie Doudet, qui écrit (pp. 40-41) « À vingt ans Malraux est nihiliste... » Ne fait-elle pas ainsi le portrait de Pia ?

Mais ces biographes sont décevants et parfois même on leur découvre des erreurs. Ainsi Olivier Todd, lequel écrit (p. 87) :

Renouant avec son goût du pastiche, Malraux encourage l’ingénieux Pia à publier un prétendu journal intime de Baudelaire, Années de Bruxelles.

Il faut inverser les noms : c’est Pia qui pastiche et c’est Malraux qui fait publier.

Jean Lacouture, que l’on croyait fort connaisseur de Pia est très frustrant s’agissant des jeunes années avec Malraux : il ne le cite qu’incidemment (p. 19).

Même mention incidente chez Robert Payne (p. 37).

En revanche Curtis Cate a bien compris le rôle capital qu’a joué pendant longtemps Pascal Pia auprès d’André Malraux et, dès la préface, il est consterné par la réserve de Pia et il écrit : « On peut regretter que certains, comme le trop discret Pascal Pia, aient emporté dans le tombeau leurs croustillants souvenirs… » Selon lui, la rencontre entre les deux jeunes gens aurait eu lieu dans des conditions qu’aucun autre auteur ne mentionne (p. 47) : « C’est aussi probablement en fouinant chez les bouquinistes en quête d’ouvrages obscènes peu connus que Pascal Pia avait fait la connaissance d’un autre chasseur de livres nommé André Malraux ». Cependant il n’a pas davantage subodoré jusqu’où pouvait être allée leur collaboration littéraire.

En définitive celui qui a mesuré de plus près les capacités rédactionnelles d’André Malraux et son besoin de soutien en matière d’écriture est un critique littéraire. C’est Pol Vandromme. Que l’on en juge par ces trois extraits (pp. 21 à 26) de son ouvrage Malraux du farfelu au mirobolant. Ils sont une justification de notre hypothèse relative à l’intervention de Pascal Pia :


En réalité, Malraux se débrouillait comme il pouvait avec la littérature : Rien ne lui fut donné ; il lui a fallu tout acquérir. Il n'est pas né écrivain ; il l'est devenu.

Les grands auteurs se révèlent dès leurs premiers textes. On lit quelques pages d'eux, et l'on est fixé sur leur talent et sur leur avenir.


Les vraies natures se moquent des apprentissages : elles saisissent infailliblement leur naturel, sachant ce qu'elles veulent et où les mène leur chant profond. Ce qu'on appelle la maîtrise, c'est l'éducation de ce naturel. Le métier organise une œuvre, la porte à son point d'accomplissement; mais il ne crée rien. On doit toujours se défier des écrivains qui composent leurs premiers livres de bric et de broc, qui empruntent, qui pastichent, qui cherchent à se faire remarquer un peu n'importe comment et qui ignorent ce qu'ils sont au juste, ce qu'ils peuvent, ce qu'ils valent. Parfois, ils réussissent à s'emparer d'un bout de sol qui semble leur appartenir; mais presque toujours cette réussite tardive est le sommet de la contrainte, de la fabrication et de l'artifice.

Nous craignons que Malraux ne soit dans ce cas.


La langue de l'écrivain ne fut pas souvent à la hauteur de l'intelligence de l'essayiste. L'une assimilait tout, se trouvait à l'aise dans l'invention la plus cabriolante, établissait à sa guise, sans se formaliser des contresens et des rapprochements abusifs, les synthèses les plus improbables. L'autre éprouvait de la peine à formuler ces prémonitions et, au lieu de rendre les armes, elle devint idolâtre de ses procédés. Aussi les zones d'ombre de son inspiration s'épaississaient-elles encore. L'aube tardait dans cette nuit qui ne sortait jamais d'elle-même.

Le drame de Malraux, c'est qu'avec une intelligence farfelue, il a voulu faire une littérature mirobolante. Dans la première partie de son œuvre, il passe de Lunes en papier à La Tentation de l'Occident, c'est-à-dire de l'arlequinade mystificatrice à la dissertation du khâgneux qui interroge les grands sujets avec les grands mots. On ne va pas d'un extrême à l'autre si l'on est un peu assuré. On n'y va que pour s'abandonner à sa facilité, que pour se perdre corps et biens.



Janvier 2021