LA BONNE ET LA MAUVAISE PEINTURE

LA BONNE ET LA MAUVAISE PEINTURE, CHRONIQUES D’ART,

de André FERMIGIER, Gallimard, 2002

 

 

Enfin ! Depuis 1991 et la préface de Pierre Nora aux Chroniques d’humeur (Gallimard), on attendait le plaisir de relire ces chroniques d’art d’André Fermigier qu’on avait dévorées dans l’Observateur ou Le Monde. Les voilà enfin, merci, mais un reproche : pourquoi et comment avoir fait une sélection ? Par exemple, puisque Matisse est à l’honneur au Grand Palais et au Cateau-Cambrésis en ces temps de réouverture du musée après agrandissement et rénovation, pourquoi n’avoir pas retenu Matisse et son double (Revue de l’art, n° 12, 1971), ou même Le manteau écossais, Matisse à Zurich (LM, 14 décembre 1982), ou Le bel aujourd’hui, Les musées d’art moderne du Nord (LM, 4 janvier 1983) ? Petit extrait de ce dernier article : «… nous irons vous voir et vous revoir, musée Henri-Matisse du Cateau, musée peut-être à notre cœur la perle, l’étoile et le chef d’œuvre du Nord. Ici,… un bon vieux palais un peu gourde qui fut la résidence des archevêques de Cambrai et qui s’est prêté galamment à son nouvel usage. »

Et puis, en relisant cette chronique Le bel aujourd‘hui, un affreux doute : la sélection n’aurait-elle pas voulu éviter les sujets qui fâchent ? Par exemple, celui qu’on y lit : « [A Villeneuve-d’Ascq] … des Télémaque, des Klasen, des Arroyo et des Stämpfli, dont la présence est ici insupportable, presque profanatoire. Horresco referens, et si c’est cela le bel aujourd’hui d’aujourd’hui, il n’y a plus qu’à émigrer. » Trois des quatre artistes cités ont aussitôt écrit au journal pour s’indigner, avec de mauvaises raisons : Fermigier aurait fait preuve de xénophobie car ces artistes étaient tous quatre immigrés (LM, 18 janvier 1983) ! Dans le recueil figure bien Chagall à l’Opéra ? ( F.O., 16 août 1962) qui ne doit pas réjouir les amateurs de l’artiste (dans cet article figure une idée superbe qu’aurait pu et dû réaliser Jack Lang : « Pourquoi sur une si belle lancée ne pas équilibrer le Carpeaux par une compression de César en lançant quelque autobus sur la façade aux heures de pointe… »). Quand même un affreux doute conforté par l’absence dans l’un des trois recueils (le deuxième s’appelle La bataille de Paris, Chroniques d’urbanisme, Gallimard, 1991), des superbes et célèbres chroniques relatives au Grand Louvre qui ont fait scandale, La maison des morts (LM, 26 janvier 1984) et Le zircon (LM, 10 février 1985). Monsieur Nora, puisque vous avez promis à André Fermigier sur son lit de mort de vous occuper de ses articles, vous voyez ce qu’il vous reste à faire : publier un quatrième recueil que vous intituleriez Chroniques d’humeur d’art et de muséologie.

 

Fermigier vs Malraux

 

André Fermigier, dans ses chroniques écrites d’une langue magnifique et jubilatoire, était libre, intelligent, très cultivé, très bien documenté, clair, pédagogue, modeste et plein d’humour, bref, l’exact opposé d’André Malraux dans ses écrits sur l’art. Il méprisait d’ailleurs souverainement le ministre des Affaires culturelles qu’il a appelé un jour un « funèbre imbécile costumé en homme d’État ou en penseur » (F.O., 23 novembre 1961). On a donné ailleurs des citations de Fermigier raillant Malraux (Livre Malraux Grand Homme ? pp. 10 et 63, article Patrimoine sur ce site), ci-après un autre extrait qui est en même temps un bon aperçu du style de son auteur :

« [Le guide Michelin] est une institution nationale et une académie, et l’on n’a jamais vu que les académies appelassent en leur sein les grands peintres, les architectes valeureux et les écrivains dont l’Histoire retiendra le nom. Et puisque le mot « histoire » vient sous notre plume, vous avez vu Malraux la semaine dernière à la télé ? C’était bien, hein ? On ne fait pas mieux dans le genre Fabiola et Derniers Jours de Pompéi. Quel spectacle et dire qu’il y a peut-être des enfants qui ont vu cela !

Clavel a fort bien commenté la chose, mais en termes politiques, ce qui n’a aucune importance, alors que c’est la stupidité des propos qu’il fallait mettre en relief… » Le Nouvel Observateur, 29 mars 1971.

 

 

© Jacques Haussy, novembre 2002