Malraux quel roman que sa vie

Malraux quel roman que sa vie, de Pierre GALANTE, Plon, Paris-Match et Presses de la Cité, 1971

 

 

La lecture de Le groupe Soleil dans la Résistance (voir TH Coustellier sur ce site) fait rencontrer, dans un extrait du livre de Galante, un Malraux d’une telle autorité et d’un tel charisme que « il a suffit de cinq minutes pour qu’en Malraux, [Soleil] reconnaisse le Patron. » Cet extrait est si comique et ridicule que j’ai eu envie de lire l’ouvrage sans délai, les occasions de rire étant trop rares. De ce point de vue la déception est grande. Je m’attendais à croiser la silhouette athlétique et familière de Superdupont, personnage des immortels Gotlib, Lob et Solé ou Alexis, mais, si le scénario du roman de la vie de Malraux est bien conforme à ceux des aventures du Super-Français, la réalisation est tellement flagorneuse, compassée et dépourvue d’humour que, même au enième degré, le résultat est sans intérêt.

 

Mieux que Marlene

Quand même, ici ou là, un passage particulièrement délirant fait sourire : « Il… arriva sur un plateau de la Metro Goldwin Mayer au moment où l’on tournait une scène d’amour entre Marlene Dietrich et Herbert Marshall. Marlene portait un déshabillé transparent et pendant les interruptions du tournage elle allait s’entretenir avec Malraux. A ces moments-là… tout le personnel du studio accourait non pour voir Marlene dans son déshabillé suggestif, mais pour admirer " le jeune Français qui venait de se battre en Espagne"

A signaler aussi une photo d’une ringardise exceptionnelle où l’on voit Malraux, debout de profil dans une robe de chambre à carreaux écossais, lisant un grand livre, tandis qu’à l’arrière-plan sa « seconde femme légitime » Madeleine Lioux est assise sur un canapé le regard vers lui dans une attitude d’admiration soumise. A voir ! 

Mais le livre est avant tout une succession de scènes sulpiciennes dans lesquelles les péripéties de la vie du héros sont magnifiées et exaltées. Le vol d’antiquités sur le temple khmer de Banteay Srei, par exemple, est excusé et même justifié, et le voleur est présenté comme une victime : « L’aventure indochinoise venait de confronter durement et injustement Malraux avec les formes les plus basses de l’esprit bourgeois : ricanement devant les manifestations du courage, vénération des pouvoirs établis, approbation des intrigues policières et de leur technique, jouissance devant l’écrasement du faible. » L’épisode suivant du journalisme à Saigon est bien entendu glorifié, dans un chapitre titré « Le rebelle de l’Orient » : « En Indochine, Malraux allait travailler avec toute sa passion et sa force juvénile, à une entreprise de libération de l’homme… » Et ainsi de suite.

 

Deux clés

Galante prend pour argent comptant tous les mensonges du grand homme. Par exemple : « Mon premier acte de résistance active se situe à Toulouse, en 1941, où, avec Emmanuel d’Astier de la Vigerie, dont le pseudonyme était Bernard, et Corniglion-Molinier, nous avons fait sauter un train de munitions allemand. » Je ne connaissais pas cette invention-là. Elle s’ajoute donc à celle qu’il avait livrée en 1945 au journaliste sud-américain dont l’article est reproduit dans Le Monde diplomatique d’août 1999 : « En 1941, il prit part à un exploit exceptionnel : la réorganisation d’un régiment de chars… » Cette frénésie d’affabulations est décidément pathologique ! Il est surprenant d’ailleurs que le cas psychiatrique de Malraux n’ait encore fait l’objet d’aucune publication. Les docteurs Delay et Bertagna qui l’ont soigné n’ont rien dit sur son cas ?

Avec le trouble psychiatrique, une autre clé de compréhension de ses actes est dans le besoin considérable d’argent qu’entraînaient son goût du luxe et ses carences, lesquelles l’obligeaient à s’entourer d’une cohorte d’assistants (valet de chambre, chauffeur, secrétaire, interprète, garde du corps…). C’est ainsi que, de Clara (à qui il disait « je ne vous ai épousée que pour votre argent », ce qui l’enrageait, tant elle savait combien cette phrase contenait de vérité) aux Louise, puis Sophie de Vilmorin (dont il appréciait beaucoup le château de Verrières), sa vie peut être expliquée par la recherche de l’assouvissement de ses appétits matériels. C’est pourquoi l’on sourit lorsque Galante rapporte « Au contraire de Claudel, dit-il, l’argent ne m’a jamais intéressé. Ni pour, ni contre. »

 

Une référence

Dans le livre de Galante, les sujets les plus racoleurs sont mis en valeur dans la tradition du journalisme à sensation, Paris-Match n’est pas coéditeur pour rien. Ainsi des femmes : André et Clara, André et Louise, Josette Clotis, Une escale affective, Les amoureux de Verrières sont les titres de quelques chapitres. Ainsi de l’aventure Reine de Saba qui occupe 47 pages (sur 319 hors Appendices) et 8 chapitres (sur 39).

Bref, cet ouvrage est accablant !

Vous me direz, quelle importance, ce Pierre Galante (1909-1998) totalement grotesque n’a aucune notoriété et ne constitue pas un auteur de référence. Détrompez-vous : Jean Lacouture joint à sa biographie (1973) un « Choix bibliographique » d’une cinquantaine d’auteurs parmi lesquels il figure. Janine Mossuz-Lavau fait de même (parmi 24 auteurs, en 1982), et Curtis Cate (parmi 234, en 1994), et Pierre de Boisdeffre (parmi environ 50, en 1996), et Rémi Kauffer (parmi environ 80, en 2001), etc. Et Olivier Todd (2001) le cite, même si son nom n’est pas mentionné dans l’index (mais dans celui-ci Coustellier, par exemple, n’est censé apparaître qu’à la page 336 alors qu’il figure aussi aux pages 337, 342 et 646 n. 28 : on aurait attendu plus de rigueur de l’éditeur Gallimard).

 

© Jacques Haussy, mars 2003