LA RéVOLUTION ET LA GUERRE D

MAOS, de Morgan SPORTès, Grasset, 2006

 

 

 

C'est l'histoire de Jérôme, un ex-mao que rattrape son passé. Très influencé et inspiré par Malraux, il se faisait appeler Gisors :

 

 

…Obélix c'était son nom de guerre, comme Gisors était le mien.

- Gisors, un héros de Malraux, non ?

- De La Condition humaine !... Oui... j'admirais ces fadaises à l'époque.

[...]

Le modèle qu'il s'était choisi, à côté de son père bien sûr, qu'il révérait, c'était André Malraux, qu'il idolâtrait. L'intellectuel armé. Le soldat esthète ! Un livre dans une main, la mitraillette dans l'autre. L'Homme complet !

[...]

Costume sombre, cravate club grenat imprimée de petites cannes de golf dorées, chemise oxford blanc coquille d'oeuf. Il ne se déplaisait pas : le col de la chemise était souple, le noeud de cravate un rien "lâche". C'était le chic du Malraux de la fin : ministre de la Culture du Général... [...]

Il modifia sa mèche, dans la glace, de façon qu'elle retombât sur l'oeil gauche... Puis il sortit de sa poche la boîte de cigarillos. Il en alluma un, le coinça à une commissure de sa bouche, faisant la grimace... Non, là, c'était plutôt Blaise Cendrars, l'aventurier ! Il jeta au miroir un regard « perdu dans le lointain », reprenant entre l'index et le majeur de sa main droite le cigarillo tourné vers le bas... c'était mieux, parfait même : il est El Coronel, un virtuel béret noir enfoncé sur le crâne, une canadienne à col de fourrure blanc sur le dos, il dirige l'aviation républicaine espagnole, 1936, Magnin-Malraux, héros de L'Espoir, partout explosent des bombes, crépitent les rafales de mitraillette... Il braque bientôt son cigarillo à l'horizontale, vers le miroir. Le temps a passé : il est à Boulogne, vêtu d'un costume sombre croisé, avec une élégante pochette, derrière lui un piano, au piano sa maîtresse, Josette Clotis (à moins que ce ne soit sa belle-sœur Madeleine ?). Ça n'est pas Clara en tout cas, sa première femme, la prosaïque Clara, la ricaneuse Clara, la juive Clara, qui avait prétendu qu'il n'avait jamais mis les pieds en Chine avant d'écrire La Condition humaine...

  ... Jérôme connaissait par cœur la fausse, et la vraie biographie de Malraux, ses mensonges, ses demi-mensonges, ses contrevérités, il connaissait par cœur l'album de photos de son Grand Homme : dont il imitait, inconsciemment souvent, les poses, les expressions. Certes Malraux avait trahi ! Malraux, après la Seconde Guerre mondiale, s'était rangé dans le camp de la réaction, des gaullistes !... Certes, Malraux, accordant des interviews à des journaux fascistes comme Le Figaro, Match, ou sociaux-traîtres comme l'Huma, Le Monde, avait prétendu que les gauchistes n'étaient que des imbéciles vivant au XIXe siècle : des héros de L'Education sentimentale, pour tout dire !... Il n'avait peut-être pas tort au fond ce mythomane-institutionnel ! Cet écrivain-pour-ados, ce bobardeur de pacotille ! Ce rejeton d'épiciers, oui, ses grands-parents étaient épiciers ! Mais... mais Jérôme pouvait-il pour autant s'empêcher de l'aimer, de le détester tout en l'adulant ? de l'adorer en l'abhorrant ? Pourquoi cette attraction, cette fascination ? Malraux, au fond, n'avait-il pas réussi ce à quoi aspirait chacun de « nous » : il était l'auteur reconnu ET l'aventurier, le ministre ET le poète, le beurre ET l'argent du beurre (hi hi, Jérôme ricana ironiquement, tout autant à l'intention de Malraux que de son reflet, dans le miroir, travesti en Malraux). Le plat de lentilles ET le droit d'aînesse ! L'immanence ET la transcendance ! Sancho ET Don Quichotte. L'art, l'argent, le pouvoir... Il cracha un nuage de fumée de cigare sur son image qui, un bref instant, s'estompa.

Malraux venait de mourir... Jérôme, à cette occasion, avait relu La Condition humaine, qu'il connaissait par cœur, surtout le premier chapitre : quand dans la nuit de Shanghai, le communiste Tchen poignarde un homme endormi... Il trouvait cette scène ridicule aujourd’hui. « ça sonne faux ! » Pour décrire un meurtre, ne fallait-il pas avoir tué soi-même ? Les mots ne doivent-ils pas peser leur poids d’expérience, de réel : de sang ? D’au-then-ti-ci-té enfin !

 

 

 

octobre 2006






Morgan Sportès a commis d’autres agressions contre André Malraux. Dans Tonkinoise par exemple, superbe sotie sur l’Indochine vichyste :
« … Pilote français engagé dans l’armée républicaine espagnole, en 36, il se bat contre les franquistes (ce qui lui a permis de croiser André Malraux qu’il surnommait " capitaine Bidon "). » (p. 355 en Points Seuil).
A noter dans le même ouvrage l’appréciation sur le Grand Monde de Saigon (voir TH Clara M. 7) : « Mon Dieu comme tout cela était vulgaire, on se fût cru au Grand Monde, à Saigon, ce lupanar ! » (p. 180).


avril 2017