Malraux

AVANT L'EsPOIR : LES PILOTES DE MALRAUX POUR L'ESPAGNE REPUBLICAINE, de Walter G. LANGLOIS, La Revue des Lettres modernes - Minard, André Malraux 11, octobre 2001

 

 

Qu'un Malraux aussi incompétent en toute matière militaire ait pu obtenir la responsabilité d'une escadrille est chose mystérieuse et extraordinaire que ni Curtis Cate ni Olivier Todd n'éclairent. Walter G. Langlois a pourtant effectué un travail très utile et fructueux sur ce sujet, publié dès 1984 dans Witnessing André Malraux (Edited by Brian Thompson and Carl A. Viggiani, Wesleyan University Press). Une "traduction" est parue en 2001 dans la RLM 11, en voici un extrait. 

Quelques assertions posent question : Malraux était-il vraiment "connu comme un organisateur dynamique" ? Etait-il "très juste et sans prétention" ? Et que signifie "[il] avait un très grand respect pour l'homme en tant qu'homme" ? Et, surtout, le "vraisemblablement il hésita" est douteux. Au demeurant, il ne figure pas dans le texte original qui, au lieu de "il finit par l'accepter", comporte l'expression "he did not hesitate long before accepting it", ce qui paraît plus conforme à ce que l'on sait de la prétention du personnage. Le Professeur Langlois ne veut sans doute pas froisser ses confrères français... Ajoutons qu'il n'a pas été proposé à Malraux un poste de "chef d'escadrille", mais de "chef responsable des pilotes et des techniciens de l'aéronautique... assisté de deux techniciens". Là aussi le texte original est sensiblement différent puisqu'il est "When Malraux was approached about this project..." au lieu de "Quand on proposa ce poste de «chef d'escadrille» à Malraux..."

Notons enfin que la thèse "officielle" relative à ces quelques jours décisifs, inventée et colportée par Paul Nothomb avec l'aval de Malraux, est ainsi résumée par François Trécourt (Pléiade) :"Ce serait Malraux lui-même qui aurait eu l'idée de tout - et d'abord de recruter des mercenaires - et aurait soumis son projet à Azana et à Giral lors de son séjour à Madrid".

 

 

Restait la question des pilotes. Finalement, après une longue discussion, le Conseil [réuni le samedi 25 juillet] accepta — comme le déclara De los Rios dans son rapport à Giral — que l'industrie française privée livrât du matériel aéronautique destiné aux Espagnols par l'intermédiaire de pilotes volontaires ou employés à cet effet […] Il est très douteux que la majorité des membres du Conseil ait prévu qu'une interprétation très libre de cette permission allait permettre la formation d'une unité spéciale d'aviateurs mercenaires et volontaires de toutes nationalités au service de la République espagnole — unité dont Malraux serait le chef responsable. Pourtant, comme nous allons le voir, en moins de quinze jours, c'est précisément ce qui arriva [...] 

Au moment où Albornoz, De los Rios, Cot et Lagrange commencèrent à organiser ce groupe de «volontaires» composé en fait en majorité de mercenaires, ils se rendirent compte qu'il fallait quelqu'un pour le diriger, un chef pour ainsi dire. On pensa immédiatement à Malraux, qui jouait déjà un rôle important dans le recrutement de pilotes parmi les antifascistes italiens à Paris. Bien entendu, il n'avait aucune expérience en tant que pilote, mais il s'était intéressé à l'aviation depuis un certain temps, et son vol d'exploration archéologique au-dessus du Yémen à la recherche de la cité de la reine de Saba avait attiré l'attention. De plus, il était connu comme un homme imaginatif, un organisateur dynamique qui n'hésiterait pas à prendre des décisions et à agir. Il était quelquefois un peu distant dans ses rapports personnels, disait-on, hautain même, mais il était très juste et sans prétention. Au fond, c'était un humaniste qui avait un très grand respect pour l'homme en tant qu'homme, et cette attitude était en plein accord avec l'idéologie fondamentale des Fronts populaires en France et en Espagne. Enfin, il jouissait du respect et de la confiance complète de bon nombre de chefs à Madrid comme à Paris, élément crucial, étant donné l'importance de la tâche. 

Quand on proposa ce poste de «chef d'escadrille» à Malraux, vraisemblablement il hésita, en disant qu'il ne possédait aucune expérience, ni en tant qu'aviateur, ni comme administrateur, mais Albornoz se hâta de le rassurer au nom du gouvernement de Madrid. Ce qu'on envisageait, disait-il, c'était de nommer Malraux « chef responsable des pilotes » et officiellement reconnu comme tel par l'Espagne. Pour des questions purement techniques, il serait assisté de deux spécialistes, des professionnels de l'aviation, qualifiés et expérimentés1. Ces deux hommes seraient de plus responsables, sous sa direction, de certaines tâches administratives, y compris la liaison avec les chefs militaires espagnols. Comme Albornoz l'envisageait, l'activité de Malraux serait surtout orientée vers le recrutement et l'administration du personnel, et dans la mesure du possible vers l'achat de matériel aéronautique sur le marché international. Ce poste faisait appel à la fois au goût de l'aventure de Malraux, et à son engagement antifasciste passionné : il finit par l'accepter.


1 .  Cité in : Franco Fucci, Ali contro Mussolini : I raid aerei antifascisti delgi anni trenta (Milano : Mursia, 1978),  p. 109. Le contrat pour les pilotes signé par Albornoz précise que «le gouvernement espagnol reconnaît comme Chef responsable des Pilotes et des techniciens de l'Aéronautique M. André Malraux. Il sera assisté de deux techniciens, à charge pour lui d'assurer la liaison avec le Commandement espagnol» (Revue André Malraux Review  [University of Alberta-The Malraux Society] : "De l'Escadrille España à 'L'Espoir'", Robert S. thornberry éd. Vol. 19, nos 1-2, Spring Fall 1987 and Vol. 20, no, 1, Spring 1988, p. 186).

 

 

février 2007