JACQUES
CHIRAC : MALRAUX AU PANTHéON
(23 novembre 1996)
Après avoir été maire de Paris (1977-1995), période marquée par les affaires, la corruption et la gabegie, Jacques Chirac a été président de la République (1995-2007), fonction qu’il a quittée en laissant un bilan fort critiqué – uniquement dans la presse internationale bien entendu (la France ne brille pas par l’indépendance de ses médias : selon Reporters sans frontières, elle arrive à la 39e position du classement mondial de la liberté de la presse en 2017) : http://www.lemonde.fr/societe/article/2007/03/12/la-presse-internationale-fustige-le-bilan-de-jacques-chirac_881758_3224.html#XTiufLRtmk1MtxLg.99
Un quotidien britannique, The Daily Telegraph, a ainsi pu écrire lors de la passation de pouvoir : « on dit qu'en démocratie, les peuples ont les hommes politiques qu'ils méritent. La France méritait mieux ».
Jacques Chirac n’a pas toujours été heureux dans ses admirations et ses hommages. Par exemple il a voulu, avec la complicité de Bertrand Delanoë et de Anne Hidalgo, alors respectivement maire de Paris et adjointe, débaptiser en 2006 la place du Carrefour de la Croix Rouge à Paris pour lui donner le nom d’un homme au lourd passif, mais à la dévotion gaulliste irréprochable, Michel Debré. Ce dernier, entre autres indignités (Algérie française, massacres du 17 octobre 1961, « Enfants de la Creuse »...), a été en effet en 1975 un des plus farouches opposants à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse défendue par Simone Veil, laquelle, décédée le 30 juin dernier, est pressentie pour être placée au Panthéon.
1996 était l’année du vingtième anniversaire de la mort d’André Malraux, le 23 novembre 1976. Pourquoi et comment Jacques Chirac en est venu à décider de le placer au Panthéon est bien décrit dans ses tenants et aboutissants par l’universitaire Patrick Garcia : https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2001-2-page-205.htm
On notera que, si les familles des pressentis à l’hommage national y sont le plus souvent réticentes, voire opposées, comme pour Albert Camus, ou Simone Veil, ici « Il semble que la première proposition de transférer les cendres d’André Malraux au Panthéon émane de la famille d’André Malraux ».
Cette sorte de cérémonie appelle la raillerie et la subversion. On se souvient de la scène fameuse de la pose de première pierre dans le film de Luis Buñuel L’âge d’or. Ici, de plus, la mise en scène était cocasse, avec une évocation tout à fait dérisoire d’une piste d’atterrissage sur la rue Soufflot.
Quant aux allocutions, voyons comment Edward Abbey raconte un discours officiel dans son remarquable The Monkey Wrench Gang (Le gang de la clef à molette, traduction Jacques Mailhos, Gallmeister, 2013) :
Les gens attendent. Le discours continue. Innombrables bouches rondes, discours unique, et presque pas un seul mot intelligible. On dirait qu'il y a des fantômes dans les circuits. Les haut-parleurs noir anthracite qui se sont épanouis comme des fleurs sur les réverbères en cou d'oie, à neuf mètres du bitume, mugissent comme des Martiens. Un magma de sens, tout en couinements et caquètements de poltergeists technotroniques, phrases étranglées et cadences en fibrillation, persiste néanmoins à jaillir en rugissant de la sono pour porter haut et fort le beuglement creux de l’AUTORITÉ…
Venons-en aux discours. Peut-être feront-ils comprendre en quoi notre héros est exemplaire et mérite l’admiration et la gratitude nationales. Livrons-nous donc au pénible exercice d’écouter et lire ces allocutions convenues.
Il y eut deux discours, d’inégale importance – le premier de 737 mots, prononcé par Maurice Schumann, le second de 2703 mots dit par Jacques Chirac. Ils sont disponibles intégralement sur le site ina.fr.
Maurice Schumann parle de sa voix caractéristique, un peu altérée (il avait plus de 85 ans et il est mort 14 mois plus tard), qui a fait les beaux jours de Radio Londres. Les citations et les noms célèbres défilent, Jean Rostand, Sartre, Heidegger, Claude Bernard, Victor Hugo, Baudelaire… Les formules (creuses) sont ciselées (« C’est l’antidestin qui franchit le seuil du Panthéon », « couvrir la voix de la mort par les voix du silence »…), dont une, finale, destinée à être placée sur la cheminée : « ...que faites-vous ici ce soir, si vous courez le risque d’oublier qu’on n’aime jamais assez la France pour ce qu’elle a de fragile, et qu’on ne l’aime jamais trop pour ce qu’elle a d’éternel ? »
Jacques Chirac lit le texte que lui a préparé Christine Albanel, après le « discours du Vel’ d’Hiv » de juillet 1995, et l’hommage à François Mitterrand prononcé au soir de sa mort le 8 janvier 1996. Les approximations, boursouflures et erreurs se succèdent en bon ordre. Quelques-unes ont déjà été relevées sur ce site, notamment à l’adresse http://legrandmalraux.fr/commentaires.php?a=Site, à la date du 22 juin 2016. Et, lorsque vient la conclusion : « Parce que vous avez su faire vivre vos rêves et les faire vivre en nous, prenez place, André Malraux, dans le Panthéon de la République. », on doit reconnaître une imposture : eh non, Monsieur Malraux, et Dieu merci, vous n’avez pas fait vivre vos rêves creux en nous ! On pense à Blaise Cendras à qui l’on demandait souvent s’il avait vraiment pris le train pour Vladivostok. Il répondait : « Que je l’aie pris ou non, quelle importance, puisque je vous l’ai fait prendre ». Mais hélas, Malraux n’a fait prendre aucun train à personne, sinon à des thuriféraires.
© Jacques Haussy octobre 2017
MICHEL DEBRÉ
Extrait
de Jacques Laurent, Mauriac
sous De Gaulle, La Table Ronde,
1964, pp. 149-150 :
Pourquoi
Debré est-il méprisable? Parce qu'il a été un sincère partisan
de l'Algérie française, parce qu'au moment même où il témoigne
devant les juges de Salan il a le cœur déchiré, amoureux qu'il est
encore de cette cause et contraint qu'il est de la répudier. Mais
contraint par quoi? Je ne sais même pas si c'est par le plaisir
d'être premier ministre. Il ne le restera pas longtemps. Très vite
le maître écartera ce serviteur avili et le rejettera
nonchalamment, sinon dans les ténèbres, du moins dans les pénombres
extérieures. Alors, libéré par son infortune, Debré va-t-il se
conduire en homme libre, raconter ce que ses reniements lui ont
coûté, ce qu'il y eut de lâcheté, mais aussi de calculs et de
secrets espoirs dans la multiplication de ses concessions? Va-t-il
attester la vérité? Non, Debré est de ces affranchis romains qui
ne rêvent que de reprendre du service auprès du maître. Il s'est
soumis et il s'est tu après qu'il eut été renvoyé à sa grisaille
comme s'il espérait, par ce silence et cette soumission, obtenir un
jour un nouveau sourire de son seigneur. Voilà à quelle pitié de
Gaulle réduit ses serviteurs. Et si rudement que nous les
méprisions, nous ne les mépriserons jamais autant que de Gaulle les
méprise.
Extrait de « La Cour », rubrique du Canard enchaîné que tint, de 1960 à 1969, Roger Fressoz alias André Ribaud, cette description du premier ministre Michel Debré, en 1961 :
Décembre
2017 et janvier 2019