Malro

RESTAURANT MALRO, 7 RUE FROISSART , 75003 PARIS




En matière d’onomastique, et plus précisément de toponymie, plus rien n’étonne depuis que le nom de Thierry Maulnier (voir TH Maulnier) a été attribué à un lycée de Nice  - certes pas en centre ville, mais en périphérie, à l’ouest, du côté des Iscles et de la plaine du Var. Le nom de Michel Debré pour une place de Paris n’est pas mal non plus (voir TH Chirac et Cr Brassens). Néanmoins, un restaurant récemment ouvert à Paris et baptisé Malro - avec une orthographe décalée pour bien montrer que le nom ne doit pas être pris tout à fait au sérieux - voilà qui surprend et intrigue.

De quelle faveur le nom d’André Malraux bénéficie-t-il d’une façon générale ?

Un article du site malraux.org (https://malraux.org/art189_rues_nom_am_pillet2016/) s’efforce de recenser « des institutions ou des endroits du domaine public qui ont reçu comme nom celui de Malraux ». L’auteur, admirateur du grand homme, est fort dépité de constater combien la moisson est maigre : une centaine de lieux culturels et sportifs, 82 écoles, collèges et lycées, et 205 rues, places, jardins… dans les 35 000 communes de France. Et aucune « Université André Malraux ». Il en conçoit une aigreur déplaisante : « Les "centres culturels André Malraux" ont actuellement au moins le mérite de maintenir, contre tous les professionnels de la contestation et les inconditionnels de la critique haineuse, l'association du nom du ministre et de celui de la culture. »

Le nom d’André Malraux, pour une telle vedette, a donc un attrait limité. Ce que confirme une étude de 2015, basée sur les noms des plus de 67 000 établissements scolaires de France, publiée dans le journal Le Monde. Elle montre qu’il ne figure même pas parmi les 30 premiers attribués. Il vient en effet très loin derrière ceux de Jules Ferry (classé 1er dans les établissements publics  - c’est Saint-Joseph qui a la préférence des établissements privés et toutes catégories, et de loin) puis Jacques Prévert, Jean Moulin, Jean Jaurès, Antoine de Saint-Exupéry, Victor Hugo, parmi les dix premiers toutes catégories (voir https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/18/de-jules-ferry-a-pierre-perret-l-etonnant-palmares-des-noms-d-ecoles-de-colleges-et-de-lycees-en-france_4613091_4355770.html).

Par ailleurs, un navire scientifique explorateur des fonds marins a été baptisé "André Malraux".  Je me suis permis d’envoyer le message suivant au "courrier des lecteurs" du magazine qui en faisait mention : Avoir baptisé un navire scientifique consacré à l'archéologie du nom d'un pilleur de temple khmer et trafiquant d'objets archéologiques du Gandhara est un bel encouragement aux fouilles clandestines et au trafic. Bravo !

Et qu’en est-il des restaurants ? Même désaffection pour les auberges commerciales : à peine si, dans l’hexagone, une taverne de Sarlat - sise place André Malraux bien entendu - porte ce nom. Et puis des annexes de musées (au Havre par exemple), d’établissements scolaires (peu nombreux comme on a vu), et le « restaurant Émeraude André Malraux », pour personnes âgées, dans l'immeuble de la bibliothèque de la Ville de Paris portant le même nom, au coin de la rue de Rennes et du boulevard Raspail, connue pour son « fonds malrucien ». Et c’est à peu près tout.

Alors pourquoi ce nom à Paris, rue Froissart, à l’orée du quartier du Marais ? Sur le site web de l’établissement il est seulement précisé « En plein cœur du Haut-Marais, Une néo-brasserie méditerranéenne, Un cadre aux volumes impressionnants et un jardin d'hiver chaleureux, Malro propose une cuisine de saison, colorée et conviviale, Un bar qui saura satisfaire les plus grands amateurs de cocktails, ainsi qu'un espace Take Away pour le déjeuner. » Pas de justification, donc. Il faut consulter le site foodandsens.com, où figure un entretien avec les promoteurs de l’endroit, pour en savoir plus sur leurs motivations :

Pourquoi MALRO ? :  «  Paris noir était une ville triste. C’est la saleté qui l’avait rendue triste…» déclarait André Malraux, ministre de la Culture.  Août 1962 est votée « la loi Malraux » qui mettra en place un dispositif de protection patrimoniale pour préserver l’âme du Marais d’une décrépitude certaine. Plus de cinquante ans après, force est de constater que le quartier a retrouvé tout son lustre. Sa sociologie a en revanche bien changé. De populaire, il est devenu branché …. 

Vous avez compris ? Voilà pourquoi votre fille est muette !


© Jacques Haussy, mars 2019


Olivier Todd trouve légitime le toponyme « Malraux », « André » certes, mais surtout « Claude » et « Roland » (http://www.asmp.fr/travaux/communications/2003/todd.htm) :


Il existe deux Malraux qui sont de vrais héros de la Résistance, ce sont ses frères Claude et Roland. Claude a été arrêté le 8 mars et Roland le 22 mars. […] Malraux a très peu parlé de ses frères ; il ne les a pas fait décorer. Alors qu'il y a des espaces André Malraux, des places André Malraux, des collèges André Malraux, des bibliothèques André Malraux etc., il n'existe pas même une ruelle Claude et Roland Malraux, ce qui est très étonnant car il s'agit quand même de gens qui ont fait de la résistance pendant deux ans. L'un a sans doute été fusillé et l'autre a été bombardé par des avions anglais alors qu'il se trouvait sur un bateau hôpital au large de la Suède.

mai
2019


Eh ! Vous oubliez Charles Péguy !

août 2019




Et qu’en est-il de la toponymie en Afrique francophone ? Voici un début de réponse par Patrick Besson dans Déplacements (Gallimard, 2014), au chapitre Brazzaville :

Le centre culturel André-Malraux ne s'appelle plus André Malraux mais l'Institut français du Congo, et le lycée Lumumba ne s'appelle plus Lumumba mais Vaheyou, alors que le centre culturel de Bacongo s'appelle toujours Sony Labou Tansi.


septembre
2019