Sartre2

TALKING WITH SARTRE, de John GERASSI, Yale University Press, 2009



L'opinion de Jean-Paul Sartre sur André Malraux est bien connue (voir Cr Sartre et Ad Levy). Elle est ici extraite d'une série captivante d'entretiens en français avec John Gerassi de 1970 à 1974, entretiens que celui-ci a traduits en anglais (États-Unis), mis en forme et publiés, puis qui ont été traduits de l'anglais et publiés en français (Entretiens avec Sartre, de John Gerassi, Grasset, 2011). L'extrait qui va suivre est en anglais car on n'a pas voulu reproduire une traduction de traduction, d'autant que l'enregistrement de l'entretien original en français est accessible à la bibliothèque Beinecke de l'Université Yale : pourquoi l'éditeur Grasset n'a-t-il pas pris la peine d'aller aux sources ? Alors qu'il s'agit d'insultes, et que, dans ce domaine, le mot juste est essentiel. Par exemple, Malraux "is a phony" a été traduit par "est un faussaire". Sartre n'a-t-il pas plutôt dit "est un escroc", ou "est un imposteur", ou "est un charlatan" ? "...anti-memoirs, which are really shit" a été traduit "...les Antimémoires qui sont vraiment à chier". Le terme utilisé n'a-t-il pas été "de la merde" ? Toutes nos excuses donc pour cet extrait en anglais - le premier sur ce site - mais la traduction sera plus facilement accessible que cette (fausse) VO.


April 1972

GERASSI: At lunch last Sunday, you referred to Malraux as a pig. Was it because, as Castor wrote in her memoirs, he tried everything to get Gallimard, your and his publisher, to dump Les Temps Modernes?

SARTRE: In general, yes, he's a pig. Everything about him is phony. I mean, The Human Condition is a fantastic novel, one of the really great ones this century, certainly, but he, himself, is a phony. An adventurer who went to Cambodia to steal its artworks and sell them. He's always been a money man. OK, I know, he saved your father from execution by the Comintern. I'm not saying that he didn't do some great things. But his so-called great leadership in the resistance, Colonel Malraux! When I went to see him, right after the Germans entered Paris and split France in two, to suggest we start a resistance group, his answer was: "What can we do? We don't have tanks or planes. Let's wait for the Americans to get involved." And he waited and waited, all the way until they landed in Italy. But what Castor was mad about was his maneuvers about Les Temps Modernes.

What happened?

I don't know if you remember: Trotsky's widow had petitioned the French left to stage a "tribunal of honor" about her husband and his assassination. When Malraux was head, or a leader, of Writers and Artists Against War and Fascism, or whatever that organization was called—ask your father, he was a member—he corresponded or something, I dont remember, with Trotsky. He had some kind of particular relationship with Trotsky. So the tribunal asked him to testify. When he refused, and he did so because by then he was ass-licking de Gaulle in his lust for power, his widow sent us a copy of the letter, and we were going to print it. So he went to Gallimard, that was Gaston, the old man, and threatened not only to leave that publisher if Gallimard continued to subsidize us, but also to expose Gallimard's collaborationist attitude or perhaps its actual pro-German acts. So Gaston gave in and pressured us, and when we refused and went ahead with our plan to publish the letter, he stopped his subsidy. So we went over to Julliard, and after the old man Julliard died, Claude Gallimard, who took over Gaston's house when papa semi-retired, took us back.

What was in the letter?

I don't remember, nothing earthshaking, but I think it was embarrassing to Malraux because it showed him to have been a Trotskyite or sympathizer, which would not do well, he thought, with his drive for power. He was wrong, of course. It didn't do him any harm.

[...]

And your feud with Malraux?

Nothing came of that either. But everything he wrote from then on was crap.

Including his work of art and his anti-memoirs?

Crap.

But you know, during those anti-fascist committee days, and all the way up to and through the civil war, Malraux was very close to the communists, yet when he turned right, Gaullist, he never revealed any of the secrets he knew. He told me, when I asked him in '54, that what he had learned back then was because he had been trusted by the party, so he wouldn't reveal anything later. I remember him saying "not like that scum Koestler."

OK, so I'm a little hard on Malraux. But he could have done wonders for France, besides having its old buildings cleaned. He wanted to live in luxury, so he aimed for that, and he was smart enough to know how to fool the critics into praising his books, especially his anti-memoirs, which are really shit. You're frowning. You don't agree?

I agree on his postwar novel, and on his anti-memoirs because I know where he made things up, or even worse, just plain lied. But I liked his work on art, and I was one of those critics who praised it when I was art critic at Newsweek. But OK, so Malraux wrote bad stuff, wanted money and luxury, et cetera, but for someone with his experience, his previous commitment to the good guys, how could he move that far right, when France was behaving so abominably, in Africa, in Vietnam, in...

At home. Right here in the north.

....

mai 2011


Il est des collectionneurs d'insultes et ils en font des recueils. Dans la période récente Noms d'oiseaux. L'insulte en politique de la Restauration à nos jours de Thomas Bouchet (Stock, 2010, Poche, 2011) et L'art de l'insulte : Une anthologie littéraire de Elsa Delachair et Yann Legendre (inculte, 2010). De ce dernier ouvrage on extraira des insultes contre Jean-Paul Sartre, lequel en reçut à foison et de tous côtés. Celles-ci ont été proférées par Louis-Ferdinand Céline dans un extrait du texte À l'agité du bocal (1948) :

[...] page 462 [des Temps modernes, décembre 1945] la petite fiente il m'interloque ! Ah, le damné pourri croupion ! Qu'ose-t-il écrire ? "Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c'est qu'il était payé." Textuel. Holà ! Voici donc ce qu'écrivait ce petit bousier pendant que j'étais en prison en plein péril qu'on me pende. Satanée petite saloperie gavée de merde, tu me sors de l'entre-fesse pour me salir au dehors ! Anus Caïn pfoui. Que cherches-tu ? Qu'on m'assassine ! C'est l'évidence ! Ici ! Que je t'écrabouille ! Oui !... je le vois en photo... ces gros yeux... ce crochet... cette ventouse baveuse... c'est un cestode ! Que n'inventerait-il, le monstre, pour qu'on m'assassine ! À peine sorti de mon caca, le voici qui me dénonce ! [...]

Pas de jaloux ! Maintenant des insultes de Céline à Malraux ! Extraites d'un autre recueil : Ta gueule, Bukowski! Dictionnaire des injures littéraires, de Pierre Chalmin (L'Éditeur, 2010) :

Je vois que Malraux est ministre. C'est un méchant bougre. Avec un petit talent journalistique d'ailleurs assez cafouilleux et gauche il a fait les Conquérants qui étaient bien réussis - depuis peau de lapin - que des ratés - mais quelle presse et quel cabotinage - et quel impérieux pitre ! en colonel, en explorateur, en Penseur - maintenant en ministre! Ajalbert l'a vu dans un autre personnage, en voleur avec menottes entre deux gendarmes à Saïgon [...] C'est un mythomane bluffeur féroce - envieux au délire [...] un petit fifre littéraire qui joue les orchestres - les Pascals, les Bakounine.


juin 2011

Un tel livre est bien propre à donner des boutons à ceux que Jean-Paul Sartre indispose. C'est le cas notamment de Christophe Donner dans le Monde 2 du 21 mai, ou de Michel Onfray dans le Monde des 5 et 6 juin. Juliette Simont, adjointe à la direction des Temps modernes leur répond dans Libération du 30 juin. Voici un extrait de son texte :

Nous savons tous qu'il est facile, dans un milieu complice, de traiter au passage Untel, absent, de sale con, mais que, s'il est question de défendre publiquement semblable allégation, un langage tout autre, des arguments et des prudences s'imposent. Que Sartre ait détesté de Gaulle n'est un secret pour personne. Mais quand Gerassi rapporte qu'il a traité le Général de "maquereau réac", est-ce un souvenir de l'intervieweur ou un propos de l'interviewé, décrypté fidèlement ou non, bien ou mal traduit ? En tous cas jamais Sartre ne s'exprime de la sorte dans un texte signé de lui ou dans une interview à laquelle il a donné son imprimatur ; sa férocité, propre à des années polémiques que nous voulons oublier, avait de l'allure et de tels mots, invérifiés, disqualifient Gerassi.


juillet 2011