Malraux

Malraux, de Robert PAYNE, Buchet/Chastel, 1996

 

 

Robert Payne passe pour avoir écrit une biographie d’André Malraux qui doit compter, avec celles de Jean Lacouture (Seuil, 1973), de Curtis Cate (Flammarion, 1994) et de Olivier Todd (Gallimard, 2001). Cette réputation est-elle justifiée ? Ouvrons la.

L’absence de mention des sources inquiète, mais l’Introduction est prometteuse : l’auteur insiste à juste titre sur la légende entourant la vie du héros et promet de « dissiper quelques énigmes et de présenter l’homme, en perspective et dans l’ordre chronologique, en le considérant tel qu’il est, et tel qu’il était avant que les légendes ne s’accumulent autour de lui. » Vaste programme ! Une phrase fait cependant tiquer : « On trouve beaucoup d’omissions entre les lignes de ses ouvrages, qui sont toujours autobiographiques même lorsqu’ils mettent en scène des personnages qui ne lui ressemblent absolument pas. » Quelques lignes plus loin pourtant il écrit : « … il n’a par exemple joué aucun rôle dans la grève de Canton en 1925 ou dans le soulèvement de Shanghai deux ans plus tard ». Alors, autobiographiques ou pas Les Conquérants et La Condition humaine ? Il ajoute : « … on n’a pas relaté jusqu’ici son action en Espagne et dans la Résistance. » Allons donc voir directement comment notre pourfendeur de légendes autoproclamé traite ces deux sujets.

 

La guerre d’Espagne

Le chapitre titré L’escadrille España est très court : 11 pages sur 367 (sans prendre en compte, dans l’édition de 1996, le dernier chapitre de 49 pages Les dernières années écrit par Paul-Jean Franceschini). Alors que celui consacré à La reine de Saba en fait 15 ! Sur ces 11 pages, 3 concernent un exploit inédit du Superdupont national : il a sauvé Pierre Herbart, mis en péril en Espagne par la publication intempestive (selon l’auteur) en novembre 1936 du Retour d’URSS d’André Gide, un homme « capable de se conduire d’une façon incroyablement étourdie et stupide. » Sur les 8 pages restantes, il trouve le moyen d’ajouter au florilège d’inventions déjà surabondant un nombre incroyable de nouvelles légendes relatives à la vie du grand homme et à sa guerre d’Espagne. On en retiendra deux particulièrement gratinées :

« Comme [Malraux] aimait aussi le danger, il participait aux raids de bombardement et pilotait parfois les avions, bien qu’il n’ait pas son brevet de pilote. Habituellement, il servait de mitrailleur. »

« Segnaire, officier de réserve dans l’armée de l’air française, était ferme et autoritaire ; il prenait le commandement pendant les absences de Malraux. Comme l’escadrille devait son existence à ce dernier, c’était pratiquement une force privée avec sa propre chaîne de commandement, ses propres ressources, et son propre programme politique. Ce n’était pas celui des communistes qui étendaient graduellement leur influence à travers l’Espagne. »

Cette dernière bouffonnerie est savoureuse puisque Segnaire (qui portait alors le nom de Bernier et s’appelait en réalité Nothomb) était envoyé par le Parti communiste belge, et qu’il était le commissaire politique de l’escadrille - il portait des toasts « au camarade Staline ». Belge, il ne pouvait être « officier de réserve dans l’armée de l’air française », pas plus que dans l’armée belge dont il avait été exclu pour propagande communiste. A 23 ans, il n’avait aucune autorité sur personne, pas plus d’ailleurs que Malraux, incompétent en toute matière militaire (il était réformé définitif de l’armée française), et en toute matière aéronautique - il ne savait pas, bien entendu, piloter un avion, ni même conduire une voiture, ni même faire du vélo !

 

La deuxième guerre mondiale 

Maintenant, voici « Malraux dans la deuxième guerre mondiale ». Moins drôle que Schweik mais bien plus imaginatif. Un feu d’artifice d’aventures inventées ! Une cascade de mensonges éhontés ! Un délire d’exploits fictifs !

« … il savait exactement ce qu’il voulait faire. Comme ce serait une guerre de blindés, il voulait s’engager dans les chars…

Il passa les neuf mois suivants à l’entraînement et ne vit pas le feu avant mai 1940, où il se trouva dans une colonne de chars avançant à travers les plaines de Flandre vers les positions allemandes… Mai fut atroce, mais juin fut pire… Malraux fut blessé le 14 juin et fait prisonnier quatre jours plus tard. Comme des milliers d‘autres, il fut jeté dans un camp d’internement, à Sens…

Ce furent des jours de privations effrayantes et d’isolement intolérable… Un jour de novembre, portant des souliers trop petits pour lui, habillé en menuisier avec des planches sur l’épaule il s’évada… Il se dirigea par petites étapes vers le sud de la France, s’installant finalement dans le village de Roquebrune, dans les collines dominant Nice…

A l’origine, Malraux avait été envoyé en qualité d’inspecteur général des forces de la résistance… Au printemps 1943, Malraux commandait un petit groupe de résistants en Corrèze. Au début, il n’y avait qu’une poignée d’hommes mais leurs rangs grossirent pendant l’année. Compte tenu des unités communistes la Corrèze comptait trois mille hommes en armes en décembre, à une époque où il n’y avait pas plus de dix mille maquisards dans toute la France…

Le premier coup sérieux porté aux Allemands le fut le 7 janvier 1944 lorsque son groupe fit sauter l’arsenal de Tulle, le mettant si efficacement hors d’usage qu’il ne produisit plus jamais d’armes… »

Et ainsi de suite… Et encore, ont été sautés des passages extraordinaires comme celui de Malraux et de ses maquisards avec leurs mitrailleuses dans les grottes des Eyzies et de Lascaux (vu des états-Unis, la Dordogne et la Corrèze sont du pareil au même, comme Roquebrune et Nice !).

 

Robert Payne (1911-1983), né en Cornouailles de mère française et naturalisé citoyen US en 1953, a publié plus de 110 ouvrages en 47 ans, en moyenne donc plus de 2 par an. Celui-ci date de 1970, à peu près en même temps que le Malraux de Galante (voir TH Galante), et avec les mêmes tares : l’ignorance, la complaisance, le goût pour l’anecdote, l’absence de travail - une production de journaliste qui n’a rien lu, rien vu, mais en a entendu causer. Sa traduction en français en 1973 a coïncidé avec la sortie du Malraux, une vie dans le siècle de Lacouture, lequel est d’une toute autre tenue et disqualifiait le livre de Payne. Bizarrement, son éditeur a trouvé utile (et sans doute fructueux) de le rééditer en 1996. Sans que personne le mette en garde sur la médiocrité du travail ? Il a en tout cas commis une mauvaise action en cherchant à perpétuer les légendes.

Avant de le jeter, extrayons au hasard une dernière plaisanterie, « One more for the road » (superbe chanson de Johnny Mercer et Harold Arlen qu’interprétèrent Fred Astaire, Frank Sinatra, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Tony Bennett… et aujourd’hui, superbement, Toots Thielemans) : « Il jouait à quatre mains au piano avec sa femme… » (p. 307). Très comique car Malraux bien sûr ne pratiquait aucun instrument de musique : il était très malhabile (il lui fallait quelqu’un pour dévisser le bouchon d’un tube de colle) et il n’avait aucun sens musical…

 

 

© Jacques Haussy, juin 2006

Voici la couverture du "paperback" d'un roman de Robert Payne (trouvé sur le blog de Kiki et Loulou Picasso à l'adresse http://undreground.canalblog.com/albums/teen/photos/18733159-girl_b.html).

février 2011