Malraux

Malraux, de Curtis Cate, Flammarion, 1994 (suite) : critique de Jean-Paul ENTHOVEN, Le Point, Numéro 1112, 8 janvier 1994

 

 

Après avoir rédigé l’article sur Curtis Cate (voir Cate sur ce site), la curiosité me fait aller sur la Toile et interroger un moteur de recherche sur ce nom. Je suis conduit sur la page d’un site québécois à l’adresse http://www.sdm.qc.ca/txtdoc/tbhmalra.html, dans laquelle sont répertoriés et annotés des ouvrages et publications de et sur André Malraux jusqu’en novembre 1996, sous la signature de Patrick Coppens et Yvon Allard. Un retour à la page d’accueil m’apprend que « Au service des bibliothèques depuis près de 40 ans, Services documentaires multimédia (SDM) inc. est une corporation privée à but non lucratif, qui développe, exploite et diffuse des banques de données adaptées aux besoins des bibliothèques, principalement des réseaux d’enseignement et des bibliothèques publiques (ou municipales). » Bon. Voyons voir.

Aucun commentaire n'est fait sur le livre de Galante (voir Galante). Inquiétant. Rien non plus sur celui de Gaétan Picon. Ah ! Si, avec la notice relative à la biographie de Jean Lacouture : « Si Malraux par lui-même (Seuil) de Gaétan Picon est le principal ouvrage d'initiation sur cet illustre auteur, Malraux, une vie dans le siècle est l'ouvrage de base à consulter sur l'auteur de Saturne. La présente édition reproduit le texte d'un volume publié en 1973, et mis à jour en 1975. Accessible. Fondamental. » Utiliser la périphrase « l’auteur de Saturne », n’est peut-être pas la meilleure façon de désigner Malraux ! Très gentil pour Lacouture, et surtout pour Picon dont le livre écrit par un employé et obligé de Malraux est d’une flagornerie écoeurante.

Je continue. Voilà le livre (excellent - j’en recommande vivement la lecture) de Jacques Bonhomme André Malraux, ou, Le conformiste ( Régine Deforges, 1977). L’annotation est défavorable : « A partir de la publication des Antimémoires en 1967, une quasi-unanimité s'est faite en France tant sur la personne que sur l'oeuvre de Malraux. Il se trouve pourtant encore des gens pour dire que Malraux était un conservateur, un mystificateur, un mythomane filou sur les bords, etc., comme en témoigne ce petit pamphlet qui mène joyeusement l'éreintement du "suppôt" de de Gaulle, et se présente comme le produit du travail collectif d'un bureau d'auteurs associés. » Une quasi-unanimité vraiment ? Après le commentaire sur la biographie de Curtis Cate (« Qualifiée de "pesante, sommaire, et digne de l'imagerie la plus ordinaire" (J. P. Enthoven), cette biographie de Malraux n'apporte pas grand chose de nouveau. Elle ne peut en aucun cas remplacer l' André Malraux de Jean Lacouture (Seuil, 1973, réimpr. 1976). »), plus de doute, nos cousins sont malreauxlâtres et membres de la paroisse (voir Vizinczey), paroisse dont on constate avec tristesse qu’elle s’étend au-delà de l’hexagone.

 

[A propos de paroisse, la dite recherche sur le nom de Curtis Cate conduit aussi sur le site de la New York Review of Books (http://www.nybooks.com/articles/article-preview?article_id=1174) où est reproduit le début de l’article de Simon Leys sur cette biographie (29 mai 1997), qui inclut l’histoire traduite en français dans L‘ange et le cachalot (Seuil, 1998). La voici donc en VO : « This story is somewhat stale, I am afraid, but it still has a point. In a crowded church, the preacher ascends the pulpit and pronounces a moving sermon. Everybody is crying. One man, however, remains dry-eyed. Being asked the reason for his strange insensitivity, he explains: "I am not from this parish." »]

 

Jean-Paul Enthoven

Nos québécois se réfèrent à un article de Jean-Paul Enthoven, article dont on apprend sur le même site qu’il est tiré du numéro 1112 du Point (8 janvier 1994). L’opinion de M. Enthoven paraît tellement stupide que, toujours mis en joie par le spectacle de la bêtise humaine, je me précipite pour rechercher cet article. Je ne suis pas déçu : il est encore plus crétin que prévu.

En voici le titre et l’introduction : « Le prince farfelu / André Malraux avait-il vraiment besoin d’un nouveau biographe ? On peut en douter. Surtout lorsque c’est M. Curtis Cate qui sert de guide dans l’exploration du " misérable petit tas de secrets" … » Autrement dit, trois idées à retenir dans cet article : Malraux est un seigneur (un prince !), on sait déjà tout sur lui et nul besoin d'y revenir, et Curtis Cate est un minable.

La première idée conduit à l’hagiographie habituelle encore magnifiée, si c’était possible, par l’enflure de l’auteur : « cet homme sublime a existé, sans doute par la grâce d’un ajustement unique entre sa forme de génie et le style de son temps. » Et lorsque Malraux a été médiocre - il faut bien quand même rendre compte de ses turpitudes - il est absout sans barguigner : « toute morale est ici vaine. Et en va-t-il jamais autrement avec les immenses écrivains ? » à ces gens hors du vulgaire tout est permis.

Deuxième opinion : tout était déjà connu, grâce à la « biographie définitive de Jean Lacouture ». Il peut donc exister dans l’univers une biographie qui soit définitive. Elle a même été écrite par Jean Lacouture, en plus sur André Malraux, et du vivant de celui-ci ! Chapeau ! Tirons l’échelle !

Enfin, le traitement tout à fait inhabituel, à la limite de l’injure, subi par Curtis Cate, lequel « n’est pour rien dans l’émoi qu’inspire l’enquête dont il s’est acquitté selon ses moyens ». Par contraste, je lis comment a été traité Olivier Todd dans Le Point (n° 1497, 25 mai 2001) : rien à voir. Au contraire, respect et intérêt, avec deux articles, d’ailleurs remarquables, il est vrai sans la signature d’Enthoven (il faudra que j’en rédige un commentaire, l’un d’eux, par Benoît Salses, sur la Résistance en Périgord est passionnant). L’explication de cet accueil fait à Curtis Cate est certainement celle donnée dans mon article Cate sur ce site : il n’est pas de la paroisse. En plus, sans doute entre-il aussi en jeu une rivalité d’éditeurs : Enthoven est attaché à Grasset…

Ces considérations échappent peut-être aux québécois Allard et Coppens. Il reste que leurs conseils aux bibliothèques francophones du nouveau Monde sont très contestables.

 

La curiosité me poussant encore, je continue d’interroger le moteur de recherche, cette fois sur le nom « Jean-Paul Enthoven » . Tout s’explique alors : la réputation de cet individu est épouvantable ! Je conseille la lecture des articles relatifs au différend avec Angelo Rinaldi à propos de Philippe Roth : très comique, d’autant plus que Rinaldi est à mettre dans le même sac de la malrauxlâtrie qu’Enthoven.

Le plus amusant est cependant le prix attribué par PLPL (Pour Lire Pas Lu) : « La neuvième Laisse d’Or de PLPL distingue un théoricien de la servilité : Jean-Paul Enthoven, également nommé " La doublure de BHL" dans les couloirs des éditions Grasset où il " travaille" comme BHL… » à lire absolument, à l’adresse http://www.homme-moderne.org/plpl/n9/p1-1.html. Amusez-vous bien !

 

 

© Jacques Haussy, décembre 2004