Maulnier

THIERRY MAULNIER, par Étienne de Montety, Julliard, 1994
ou MALRAUX ET L'EXTRÊME-DROITE




Geoffrey T. Harris a montré que le Malraux journaliste saigonnais en 1925 n'était en rien anticolonialiste et émancipateur, et que son gaullisme n'était que la continuation de son nationalisme d'alors :
La « tentation fasciste » existe en réalité bien avant que Malraux ne devienne l'un des fondateurs du R.P.F. [...] La dimension nationaliste du journalisme saigonnais semble indiquer que, là où un Aragon, un Berl, un Nizan réagissent pendant les années Vingt contre une France réactionnaire préoccupée de l'ordre public, Malraux, lui, représente un reflet fidèle du conservatisme de cette époque où l'on craint non pas le bolchevisme, qui n'est plus considéré comme une menace véritable, mais un retour au libéralisme. L'anti-parlementarisme, le nationalisme de l'après-guerre, époque où les idéologies totalitaires l'emportent sur les idéologies libérales, semblent avoir eu une grande influence sur Malraux.
Geoffrey T. Harris a établi aussi que le Malraux des grands romans "révolutionnaires" participait d'un nationalisme lyrique et émotionnel :
Dire que l'engagement politique malrucien commence à gauche pour se terminer à droite revient à ne tenir aucun compte de l'existence, dès les écrits indochinois et les premiers essais, de ce courant de nationalisme instinctif qui sous-tend l'époque du R.P.F. Depuis le colonialisme franchement impérialiste, bien que réformiste, de l'engagement indochinois et les premières ébauches d'un nationalisme émotionnel dans La Tentation de l'Occident, jusqu'à l'engagement passionné aux côtés du général de Gaulle, il n'y a pas de changement de cap politique. Au contraire, on voit un dévouement de plus en plus marqué à une conception essentiellement mythique de la France. Les parallèles que nous avons soulignés ici entre l'engagement indochinois et les débuts de l'engagement gaulliste suggèrent l'existence de deux frontières pseudo-politiques — identiques pour ce qui est de leur orientation nationaliste — à l'intérieur desquelles furent écrits les romans malruciens dits « révolutionnaires ». Il est symptomatique que dans ces romans, en dépit d'une suite de toiles de fond on ne peut plus radicales, on voit évoluer des bâtisseurs d'empires coloniaux tels que Perken et Ferral ; des chefs révolutionnaires intellectuels et distants tels que Garine, Kyo, Manuel ; et encore plus significatif peut-être, le personnage de Tcheng-Daï dont l'action, nous apprend Malraux, est « au-dessus de la politique, car elle touche l'âme ». Tout comme ses héros romanesques qui sont obsédés par la notion de style — Perken cherche à « vivre d'une certaine façon », Tchen à « mourir le plus haut possible », Kyo à faire « sa mort » —, Malraux est avant tout un artiste et un intellectuel et très peu un homme politique.

Comment le nationalisme de Malraux, dévoilé par G.T. Harris, ainsi que son admiration pour Maurras - "une des plus grandes forces intellectuelles d'aujourd'hui" - manifestée dans la préface à Mademoiselle Monk (1923), ont-ils été reçus par l'extrême-droite française ? Dans L'Action française, Léon Daudet, d'habitude si mordant, fait un compte-rendu très favorable de la lecture des Conquérants (1928), comme l'a relevé Jean Lacouture :
En ces temps déshonorants de fainéantise spirituelle [...] Malraux peint avec sa plume [...] [avec un] téméraire et dangereux talent [...] incisif et languide, à la fois sombre et lumineux comme un clair-obscur et dont certaines pages imposent à votre mémoire la vision de Rembrandt [...] Il pense au couteau : d'où ces couleurs fourmillantes [...] et le bruit d'une canonnade ou d'un régiment de sans-culottes lâchés à l'assaut d'un fortin.

Thierry Maulnier
Thierry Maulnier (1909-1988), dans la Revue universelle, où il écrit aux côtés notamment de Bardèche et Brasillach, fait lui aussi un compte-rendu très favorable de la lecture de La Voie Royale en novembre 1930. En juillet 1933 il écrit de La Condition humaine : « [Nietzsche, Gide, Dostoïevski] ont été pour lui des maîtres de solitude et c'est une longue tragédie de l'homme et de sa solitude que tout le roman, que toute l'œuvre d'André Malraux. »
Il s'ensuit des relations amicales entre les deux hommes, relations qu'Étienne de Montety, biographe de Maulnier, commente ainsi (p. 84) :
[Les] rapports entre André Malraux et Thierry Maulnier, ponctués par de fréquents échanges de lettres, illustrent assez bien les tentatives de rapprochements inattendus de cette époque.
Ces relations "d'amitié indéfectible" (p. 320) se poursuivront jusqu'à la mort de Malraux, ponctuées par des services rendus réciproques. Thierry Maulnier, qui a bénéficié d'une tribune au Figaro dès 1941, n'a jamais manqué d'y encenser son ami. En 1954, il réalise une adaptation théâtrale de La Condition humaine, bien entendu avec l'accord de son auteur. La première représentation au Théâtre Hébertot est donnée le 6 décembre, dans une mise en scène de Marcelle Tassencourt, Madame Maulnier à la ville. Celle-ci se verra confier par le ministre des Affaires culturelles, en 1961, la direction du Théâtre Montansier de Versailles. Thierry Maulnier recevra en 1959 le Grand prix de littérature de l'Académie française. En 1964 il sera élu à l'Académie, dont le chef de l'état est "le chef et le protecteur", et qui sera longtemps "un bastion du pétainisme respectable" (Henri Rousso, le Syndrome de Vichy 1944-198..., Le Seuil, 1987).
Mais qui était Thierry Maulnier ? Il était sans conteste un membre éminent de l'une des familles de l'extrême-droite. Proche de la Cagoule, il a participé aux manifestations de 1934. Il est entré en avril 1930 à L'Action française, journal de Charles Maurras, pour qui les évènements de 1940 seront "une divine surprise" (Le Petit Marseillais, 9 février 1941). Il a écrit dans ce journal pétainiste jusqu'à son interdiction à la Libération et son dernier article est daté d'août 1944. Il a pour titre de gloire d'avoir écrit : "Nous nous sentons plus proche d'un national-socialiste allemand que d'un pacifiste français" (article "Horizons, querelles de génération" dans l'hebdomadaire 1933, 11 octobre 1933). Il était aussi, comme son maître Maurras, pour "un antisémitisme raisonnable" (article "Note sur l'antisémitisme" dans le mensuel Combat, juin 1938). Enfin, on relèvera qu'il a publié en 1942 deux ouvrages de théorisation et de soutien du pétainisme : La France, la guerre et la paix, aux éditions Lardanchet, Lyon, et Révolution nationale, l'avenir de la France aux éditions du Gouvernement général de l'Indochine, Hanoi.
Pourtant ce pétainisme militant ne lui vaudra quasi aucun désagrément à la Libération. C'est à peine si le renouvellement de sa carte de journaliste a créé un embarras auprès de la commission d'attribution, doute et hésitation qui seront levés grâce au témoignage de... Roger Stéphane, admirateur et ami de Malraux ! Le monde est petit !

Petit jeu
Nous sommes en 1934. Écrivain célèbre, j'ai été couronné par un prix littéraire important ; j'occupe une position éminente chez l'éditeur Gallimard où, entre autres, j'appartiens au comité de lecture ; je participe aux décades intellectuelles de Pontigny dont je suis un pilier ; je collabore au journal intellectuel Marianne ; je suis proche de Pierre Drieu La Rochelle ; je milite activement à l'Union des Écrivains révolutionnaires, et dans quelques autres organisations antifascistes... Qui suis-je ?
Eh non, perdu ! Le prix littéraire n'est pas le Goncourt 1933, mais le Femina 1932, et je suis Ràmon Fernandez, dont le fils Dominique vient de tenter de comprendre le parcours dans un ouvrage remarquable (Ramon, Grasset, 2009).
La question suivante mérite d'être posée : qu'est-ce qui a empêché André Malraux de connaitre le destin collaborationniste de Ràmon Fernandez ? Lui qui avait des prédispositions et qui, comme lui, était fasciné par Doriot, ainsi que le signale Clara Malraux dans Voici que vient l'été (Grasset, 1973) (p. 175):
... après une visite qu'[il] rendit plus tard dans son Saint-Denis électoral à Doriot, il en revint séduit comme un fluctuant Drieu.

© Jacques Haussy, janvier 2009


Une citation de Boris Vian :
Laisser la littérature aux mains des imbéciles (Thierry Maulnier par ex.) c'est laisser la science aux mains des militaires.

octobre 2009


Je sors tout éberlué de la lecture, trouvée sur Internet en pdf, de Bagatelles pour un massacre. J'y ai repéré au passage l'avis, en 1937 donc, de Céline sur Malraux :
J'ai quelques confrères admirables, je ne les cite pas tous, je ne veux pas leur faire du tort. Tenez Simenon des "Pitard", on devrait en parler tous les jours! Marcel Aymé réussit le conte mieux que Maupassant. Les "Conquérants" de Malraux, pour autant que j'en puisse juger, voici du chef-d’œuvre ! Évidemment à présent la presse juive "l'engénise" à perte de souffle. Ce sont les horreurs du métier...
Voilà donc encore, avec Daudet de l'Action française, Kessel de Gringoire, Maulnier de la Revue universelle de Bardèche et Brasillach, un auteur aux opinions extrêmes qui trouve des vertus aux écrits d'André Malraux. Troublant, non ? Les analyses de G. T. Harris ne s'en trouveraient-elles pas ainsi validées et confortées ?


août 2013


Il faut rappeler que Léon Daudet a été l'un des responsables de l'assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914. Il a en effet écrit dans L'Action française du 23 juillet 1914 :

Nous ne voudrions déterminer personne à l'assassinat politique, mais que M. Jaurès soit pris de tremblements !

novembre 2013



Robert Brasillach (mort en 1945) et Maurice Bardèche (1998) sont enterrés au cimetière de Charonne. Il en est de même de Josette Clotis (1944) et de ses deux fils (1961) Gauthier et Vincent Malraux.

septembre 2014


Ces jours-ci est publié Les Décombres dans un "dossier Rebatet" paru en "Bouquins" chez Robert Laffont. Après l'édition originale en juillet 1942, il avait fait l'objet d'une republication expurgée en 1976. Un article de Libération du 28 octobre 2015, signé Philippe Lançon, reproduit des lignes relatives à Malraux, Mauriac, Bernanos et Claudel. Extrait :

Malraux«avec sa figure de maniaque sexuel [Rebatet a effacé cette expression dans la réédition des Décombres], espèce de sous-Barrès bolcheviste, rigoureusement illisible, et qui soulevait pourtant l’admiration à Saint-Germain-des-Prés, même chez les jeunes gogos de droite, grâce à un certain éréthisme de vocabulaire et une façon hermétique de raconter des faits divers chinois effilochés dans des bouillons d’adjectifs.» [...] Aucun des quatre ne sera rancunier : chacun demandera, en 1946, la grâce de celui qui les a insultés.


octobre 2015