André Malraux et l

André Malraux et l’espagne, de Robert S. THORNBERRY, Librairie Droz, Genève, 1977

 

 

Robert Samuel Thornberry est professeur à l’université d’Alberta dont il est diplômé PhD, c’est-à-dire docteur, en Littérature française, en 1973. Son livre, paru en 1977, a été écrit avant la publication de la biographie de Lacouture (1973), donc du vivant d’André Malraux, mais celui-ci n’a pas reçu l’auteur, et a seulement répondu à (en fait éludé) onze questions posées par écrit (voir Cahiers de l’Association Amitiés Internationales André Malraux, 1, mars 2001).

Une première lecture à la fin des années 1990 avait permis d’apprécier la mise au jour précise des effectifs et des matériels de l’escadrille, des opérations effectivement réalisées, et des écarts entre la réalité et sa transformation dans le roman L’Espoir. A la relecture, cet ouvrage fait-il la même bonne impression ?

 

Une phrase de l’introduction fait sursauter : « Nos recherches ont été particulièrement facilitées par les témoignages du commissaire politique de l’escadrille M. Julien Segnaire qui nous a reçu bien aimablement à plusieurs reprises, et dont les nombreuses remarques et indications ont été citées abondamment dans nos deux premiers chapitres. » Nothomb le falsificateur a encore frappé ! De fait les thèses désormais bien connues de ce triste (voir TH Nothomb2) personnage sont complaisamment reproduites, sans aucune distance critique. On s’aperçoit ainsi que les erreurs de Bernard-Henri Lévy dans Les aventuriers de la liberté sont en fait tirées presque mot pour mot de Thornberry et ont pour origine, soit les affabulations et mensonges de Malraux lui-même, soit les truquages de Nothomb. On renvoie donc à leur réfutation dans Ad Levy3.

Cette complaisance à l’égard des dires de Malraux et Nothomb n’est pas la seule des faiblesses du livre. Par exemple, Thornberry n’a aucune notion de la géopolitique de 1936, et il écrit dès la première page du chapitre I : « …le premier ministre français, le socialiste Léon Blum, craignant que la guerre en Espagne ne s’étende au reste de l’Europe proposa une politique de non-ingérence dans les affaires espagnoles », alors que cette politique a été proposée par les Britanniques. Il méconnaît également le milieu politique français, et les noms de Vincent Auriol (ministre des finances), Pierre Meunier, Gaston Cusin, Boussoutrot… qui ont joué un rôle dans la livraison des avions par la France n’est pas cité. L’ouvrage ne permet d’ailleurs pas de comprendre l’enchaînement de circonstances qui a conduit à la formation de l’escadrille et à la prise de responsabilité de Malraux.

 

Pierre Marcabru a écrit dans Le Figaro du 26 avril 2001 : « Qu'a fait Malraux pendant la guerre d'Espagne? Pour les uns, dont Paul Nothomb qui vient de publier un album Malraux en Espagne (Phébus), c'est un archange, un entraîneur d'hommes, un chef, pour les autres, des officiers espagnols surtout, c'est un désorganisateur né qui allie l'incompétence à la suffisance. L'escadrille Malraux relève selon eux, à quelques exceptions près, de la pagaille, de la frime et du dilettantisme. Allez savoir! En tous les cas, elle a existé et servi. » La question est pertinente. R.S. Thornberry prend plutôt parti pour la version Malraux-Nothomb au prix de l’occultation des témoignages contraires, ou de leur minimisation, voire de leur réfutation, comme par exemple pour celui de Ignacio Hidalgo de Cisneros. Dans ce dernier cas, il fournit pourtant un extrait du rapport accablant du 2 septembre 1936 du sous-secrétaire de l’Air Antonio Camacho qui corrobore parfaitement les dires de Cisneros. En voici la traduction (personnelle - Thornberry, quoique dispensateur d’ « advanced courses on translation » à Edmonton, n’a traduit aucun texte en anglais ou espagnol) : « … Tout ce qui a été exposé ci-dessus montre que le personnel français agit non avec autonomie mais avec une indépendance individuelle confinant à l’anarchie, ce qui fait que, non contents d’être inutiles, ils sont perturbateurs car ils introduisent le désordre où ils passent et on ne peut compter sur l’exécution des tâches qui leur sont confiées.

Ainsi, la hiérarchie pense qu’il est nécessaire que les personnels susdits soient réunis sur un seul aérodrome et sous les ordres d’une personne responsable, qui ait de l’autorité sur les hommes et qui puisse répondre de ce commandement et de l’exécution des missions qui leur sont demandées. »

 

Il a déjà été constaté ici que la véritable histoire de l’escadrille España reste à écrire. Comme l’indique Thornberry, les documents historiques relatifs à l’aviation républicaine sont rares, et nuls pour l’escadrille España, ce qui ne surprend pas, compte tenu des qualités administratives bien connues d’André Malraux. Mais il est des archives qui devraient être fructueuses : celles constituées par les « services » qui avaient des représentants dans l’escadrille. Le 2ème Bureau français avait son agent, qui s’appelait Victor Véniel (« Valbert » ). Le Pcf avait son « observateur » Deshuis, comme le Pcb Nothomb, alias Paul Bernier, alias Julien Segnaire. Même dans le cabinet de Pierre Cot était un agent soviétique infiltré, André Labarthe, selon Thierry Wolton… Patience donc !

 

 

 

© Jacques Haussy, mars 2006