LA TRAVERSéE DU LIVRE

LA TRAVERSéE DU LIVRE, de Jean-Jacques PAUVERT, Éditions Viviane Hamy, 2004

 

 

Jean-Jacques Pauvert, grande figure de l’édition dans la deuxième moitié du siècle dernier, entreprend la publication de ses Mémoires. Homme libre et anticonformiste de la littérature, il a souvent été en butte à la censure et aux procès, particulièrement pendant la période obscurantiste et pudibonde où Malraux fut ministre de la Culture. Voici un extrait du livre (pp. 290-291) relatif à ses relations avec le grand homme :

 

J’avais pensé faire intervenir. Qui ? Malraux, bien sûr. Le Malraux qui avait fait dans les années vingt de l’édition érotique clandestine, le préfacier de L’Amant de Lady Chatterley traduit chez Gallimard en 1932, présentement ministre de la Culture chez de Gaulle. Je l’avais édité, aussi, en 1947.

Je lui écrivis au début des années soixante une assez longue lettre (après tout, nous nous connaissions). Je crois que je lui envoyai un exemplaire de la plaidoirie de Me Garçon. Il ne pouvait rester sans rien faire devant ces abus d’autorité, ces injustices…

Au bout de plusieurs semaines, je reçus une lettre d’une sottise inimaginable, d’une platitude embarrassée indescriptible. Je ne l’ai pas retrouvée : la copie doit être dans les archives du ministère.

Signée Gaétan Picon (on a oublié cet « homme de lettres », adjoint au ministre, universitaire servile). Elle expliquait que monsieur le Ministre avait pris connaissance de ma lettre, mais ne voyait pas prétexte à intervenir. C’était tout simple : il y avait des lois assurément bien faites, dans la Vème république du général de Gaulle, il n’y avait qu’à les appliquer, et tout irait bien.

Ce ne sera pas la seule manifestation de l’imbécillité domestique dans laquelle Malraux était tombé. Mais il convient de rappeler celle-là particulièrement.

 

mai 2004

 

L'extrait ci-après (p. 393) mérite aussi d'être relevé :

 

L'Histoire de l'art d'élie Faure était un monument, dont ses fils cherchaient depuis longtemps à opérer la résurrection. Mais il y avait deux obstacles : l'importance du projet — c'était une assez monstrueuse entreprise — et l'opposition d'André Malraux, qui était devenu le tout-puissant ministre de la Culture de De Gaulle.
Or les volumes d'art de Malraux (salmigondis souvent obscurs, peu lisibles, traversés de formules plus brillantes que solides) sortaient tout droit, pour le meilleur, d'élie Faure, célèbre dans le monde entier et plutôt méconnu en France, comme d'habitude.

 

décembre 2007