LISEZ CE QUE MALRAUX A écrit

LISEZ CE QUE MALRAUX A écrit, de Derek ALlan, http://www.home.netspeed.com.au/derek.allan/letters.html

 

 

Derek Allan, professeur d’université australien (Australian National University, Canberra), a été scandalisé par un article sur la biographie de Malraux par Olivier Todd paru dans The Chronicle of Higher Education, une revue américaine (Washington D. C.) destinée au monde universitaire. Il a écrit à ce sujet à la revue, laquelle a publié sa lettre le 13 mai 2005. Voici mon commentaire de la traduction (personnelle) de cette lettre de Derek Allan.

 

Il est bien de voir l’article de Carlin Romano sur Malraux, un auteur qui mérite beaucoup plus d’attention (« André Malraux : the Last American Frenchman », The Chronicle Review, 11 Mars). Il est cependant dommage que l’occasion en soit la publication du Malraux, une vie d’Olivier Todd, dont la caractéristique première est d’ajouter une autre couche au monceau déjà énorme de mythes et de désinformations relatifs à la vie de Malraux.

La bibliographie d’Olivier Todd n’est certes pas irréprochable. Toutefois, la dernière des critiques à lui faire est de dire qu’elle ajoute aux mythes, alors qu’elle contribue à les combattre, et qu’elle tente de faire la lumière sur la vie réelle du « grand homme ». Ce que reconnaît un malreauxlâtre aussi éperdu que François de Saint-Chéron (RLM André Malraux 11, pp. 239-240) : « La biographie d’André Malraux par Olivier Todd est vivante est très documentée. Certains chapitres en sont passionnants, et le lecteur y apprendra beaucoup sur l’homme Malraux, le soldat, le militant, le père de famille, le ministre du général de Gaulle. »

 

Si seulement Malraux avait été un Sartre ou un Derrida, se risquant rarement à sortir de son café de la Rive Gauche ou de la sérénité de son cabinet de travail ! Il aurait été alors beaucoup plus difficile de le décrire comme quelqu’un qui « aime cultiver une image héroïque de lui-même » ou « un arriviste recherchant la notoriété ». Malheureusement, Malraux pensait que les convictions doivent se traduire en action, et il a ainsi donné du grain à moudre à n’en plus finir pour les moulins intéressés des biographes et commentateurs.

Il est remarquable que M. Allan fustige les mythes relatifs à Malraux et que dans la phrase suivante il sacrifie au mythe « Malraux homme d’action » ! Son héros était en effet dans l’incapacité physique de l’action, ce qu’avait reconnu le conseil de révision de l’armée en 1921, qui l’avait réformé définitivement. « écrivain engagé » est un autre mythe cultivé par M. Allan : Malraux a constamment plus couru après le pouvoir que témoigné de ses excès, avec une réussite exceptionnelle, tant dans le domaine littéraire (comité de lecture de Gallimard dès 1928, plus, ensuite, des responsabilités diverses et importantes chez cet éditeur) que politique, où il a fait la brillante carrière que l’on sait.

En revanche, Sartre et Derrida ont toute leur vie mis leurs ressources et leur notoriété au service des faibles et des opprimés. Ils sont l’honneur des intellectuels français du vingtième siècle.

 

Je note aussi que Carlin Romano dit, avec quelque condescendance, que « La Condition humaine et L’Espoir restent lisibles, vraisemblables et convaincants ». A-t-il oublié Les Voix du silence et La Métamorphose des Dieux, sans doute parmi les meilleurs ouvrages sur l’art écrits au 20ème siècle ? Sans parler des chapitres du Miroir des Limbes, à commencer par les Antimémoires ?

Que les écrits sur l’art de Malraux puissent être désignés « among the best works on visual art written in the 20th century » est comique, surtout rédigé dans la langue des publications d’Ernst H. Gombrich. Quant aux autres ouvrages, c’est affaire d’appréciation. Tenez, ces jours-ci paraît avec grand succès un Dictionnaire égoïste de la littérature française de 970 pages (Grasset), dans lequel Charles Dantzig passe en revue en toute subjectivité la littérature française. Voici les premières lignes de l’article consacré à Malraux : « Cinq fois j’ai essayé de lire L’Espoir. C’est dire si l’on est sensible au tapage ; un autre, ça aurait été deux. A la page 10 cela n’existe plus pour moi. C’est de l’Intervilles politisé, et vraiment, vraiment pas soigné. De même, La Condition humaine est une politisation des romans de voyages à la mode dans les années 30 : au lieu du Kama-Sutra, Maurice Dekobra feuillette Lénine avec une jeune femme originaire des colonies. Moins roman que tentative de fiction, l’air de reportages d’Actualités cinématographiques projetés trop vite… »

 

Mon conseil aux lecteurs intéressés par Malraux est d’oublier les biographies et les ajouts infinis au mythe de Malraux. Des pans entiers en sont sujet à caution, sinon totalement imaginaires. Lisez Malraux lui-même. Jugez-le par ses écrits.

Il se considérait d’abord et avant tout comme un écrivain, et c’est surtout en tant qu’écrivain, je crois, qu’il voulait être jugé.

Les biographes ont l’immense mérite de montrer combien la vie de Malraux n’a pas eu l’éclat qu’il avait voulu lui donner lui-même, avec l’aide de ses thuriféraires. Oubliée la légende, il reste quelques livres, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas ce que la littérature française a produit de meilleur au vingtième siècle…

 

L’Australian National University a eu l’honneur de compter Pierre Ryckmans/ Simon Leys parmi ses professeurs (de littérature chinoise), illustre pour avoir su dénoncer les chambellans portant la traîne inexistante des Habits neufs du président Mao. Cette université compte aujourd’hui dans ses rangs professoraux Derek Allan, chambellan porteur de la traîne des habits neufs du « Grand Homme » français. Au vu de l’indigence des avis de celui-ci sur Malraux, il est permis de penser qu’elle a peu de raisons de s’en honorer.

A signaler que le dit Derek Allan donnera une conférence à Paris à la Sorbonne le 15 novembre prochain, à l’invitation de François de Saint-Chéron, sur le thème « André Malraux, l’art et le temps ». Si le cœur vous en dit…

 

© Jacques Haussy, octobre 2005

 

Derek Allan poursuit sa croisade pitoyable de défense de son héros, par exemple en réponse à un article de la revue australienne mensuelle Quadrant, laquelle est décrite à l'adresse http://www.uow.edu.au/arts/sts/bmartin/pubs/86is/submissions.html comme "an Australian monthly journal which includes essays on a wide variety of topics, plus fiction and poetry. The journal is aimed at intellectuals, and has a strongly conservative political orientation." Son texte, consultable à l'adresse http://www.home.netspeed.com.au/derek.allan/quadant.html , reprend et développe les arguments ci-dessus, ce qui nous vaut les bouffonneries suivantes :

 

Les faits principaux de sa vie étonnamment riche - son engagement auprès du Front Populaire anti-fasciste des années 30, son concours aux Républicains dans la Guerre Civile espagnole, son service dans l'armée française lors de la 2ème Guerre Mondiale, sa participation à la Résistance et son arrestation par la Gestapo, et son travail considérable de très actif Ministre des Affaires Culturelles dans des gouvernements de De Gaulle  - ne font pas de doute...

 

Malraux a jeté un regard profond et acéré sur la civilisation moderne occidentale et a constaté combien sont désormais fragiles les idéaux de progrès, raison, science, démocratie et paix mondiale...

 

Malraux requiert un lecteur qui ne s'effraiera pas au premier signe d'une idée nouvelle, ou à la mise en cause des dogmes familiers et confortables...

 

Derek Allan applique cette dernière remarque à Pierre Ryckmans qui a eu l'audace de qualifier le Grand Homme de "phony", c'est-à-dire d'escroc. Ne pourrait-il s'appliquer la remarque plus judicieusement à lui-même quant à son opinion sur Malraux ? Il serait temps en effet qu'il cesse de s'effrayer de "la mise en cause du dogme familier et confortable" du génie de son grand homme. Les idées soi-disant nouvelles de Malraux ne sont en effet que des idées reçues, comme le notait judicieusement Stephen Vizinczey.

 

juillet 2007