MALRAUX REVISITE

MALRAUX REVISITE

Les chambellans continuent de porter la traîne qui n’existe pas

 

La publication d’une nouvelle biographie d’André Malraux par Olivier Todd est l’occasion de vérifier, en lisant les critiques parues sur cet ouvrage, la pertinence du conte d’Andersen Les habits neufs de l’Empereur en matière d’hypocrisie et de courtisanerie. L’imposteur Malraux était depuis longtemps démasqué, et les biographes sérieux - on ne comptera pas parmi ceux-ci Jean-François Lyotard (Signé Malraux, Grasset, 1996) qui prétendait que Malraux n’a jamais appartenu à aucune famille politique, et surtout pas au gaullisme ! - n’ont fait que confirmer et approfondir, encore que prudemment, le constat. La biographie de Todd est rigoureuse et honnête, quoiqu’elle aussi fort précautionneuse, et parfois complaisante, comme lorsqu’on lit : « [Malraux] ne pratique pas comme certains de ses successeurs la prébende et le copinage ». Par exemple, Gaëtan Picon, un de ses plus grands hagiographes, nommé Directeur des Arts et Lettres, ça s’appelle comment ? Cette biographie montre la vérité : Malraux est un personnage très surfait, voire déplaisant, qui ne méritait certainement pas d’être placé au Panthéon.

Les vrais exploits du grand homme

Rappelons la réalité des exploits qui ont fait sa gloire. Il a constamment plus couru après le pouvoir que témoigné de ses excès, avec une réussite exceptionnelle, tant dans le domaine littéraire (comité de lecture de Gallimard dès 1928, plus, ensuite, des responsabilités diverses et importantes chez cet éditeur) que politique, où il a fait la brillante carrière que l’on sait. Il a volé et trafiqué des objets archéologiques d’art khmer et du Gandhara, ce qui lui valut une condamnation en correctionnelle. Il a préfacé Maurras en 1923, le Maurras qui, dans l’affaire Dreyfus, plaçait « la sécurité nationale » au-dessus de la justice et de la vérité. Il a été un stalinien déterminé et zélé pendant la décennie 30, battant les estrades, empêchant la publication du Staline de Souvarine chez Gallimard, ne désapprouvant pas le pacte germano-soviétique... et faisant maints voyages au-delà du rideau de fer (par exemple durant 4 mois en 1934) sans jamais en rapporter un Retour d’URSS. Il a été colonialiste avec le RPF dont il était le responsable de la propagande. Il a été ministre dans des gouvernements qui ont couvert ou usé de la pratique de la censure, de la torture, des tribunaux d’exception, des exécutions sommaires, des déplacements massifs de population, et qui ont abandonné leurs supplétifs algériens aux massacres -100 mille morts !... La guerre d’Espagne ? L’esbroufe d’un faux aviateur - il était réformé définitif et ne savait pas même conduire une voiture ni même faire du vélo ! - à la tête d’une escadrille qui fut plus une charge qu’une aide, selon le général en chef de l’aviation républicaine. La Résistance ? Il n’a fait que l’effleurer. Il est vrai qu’en s’engageant en mars 1944, il était temps ! Sa Croix de la Libération est d’ailleurs usurpée.

Les chambellans

Ces réalités, connues depuis des années, n’empêchaient pas, par exemple, Le Monde diplomatique d’août 1999, d’écrire que Malraux a « participé héroïquement à la Résistance » ; ou Lagarde et Michard (XXème siècle, Larousse-Bordas, 1997) de prétendre que « entre 1923 et 1927 il a vécu en Extrême-Orient et participé à des expéditions archéologiques, des mouvements révolutionnaires, de vrais combats armés, sous le drapeau du Kuomintang » : la vérité est un séjour de deux années - dans des palaces - à Phnom-Penh et Saigon.

On pourrait croire que la lecture des quelque 700 pages de la nouvelle biographie a éclairé, s’il en était besoin, les critiques qui en rendent compte. Prenons Angelo Rinaldi (Le nouvel Observateur, 19 avril). Olivier Todd l’a irrité - un « procureur tatillon » - et il n’en a pas compris (ou voulu comprendre) le texte, puisqu’il continue d’écrire : « l’aventure en Indochine, archéologie et journalisme anticolonialiste mêlés », alors que Malraux était le contraire d’un aventurier, ou alors à la Morand, de palace en palace, l’archéologie était du vol de blocs sculptés sur un temple dûment décrit et répertorié, et le journalisme était critique de l’administration coloniale, tout au plus satirique, et en aucun cas anticolonialiste : il ne viendrait à l’idée de personne de dire que Krokodil, en URSS, était un journal anticommuniste ! Ailleurs, Rinaldi continue de croire en un Malraux « révolutionnaire ». Quel contresens ! Malraux, au contraire, a montré toute sa vie un goût profond pour l’autorité et l’ordre, et un auteur a pu intituler son livre André Malraux Le conformiste (chez Régine Deforges, 1977 et 1986). Mention particulière doit aussi être faite de l’émission dominicale de la 5ème « Droit d’auteurs », où l’on a entendu ce dialogue incroyable - un passage du mur du çon ! - Ferney : « Olivier Todd, dénigrer - ce que vous ne faites pas - dénigrer Malraux, ce serait dénigrer la France, les Arts, la Révolution, la Résistance, l’Aventure, l’Orient, le Gaullisme... c’est impossible, vous n’avez pas osé, personne ne peut oser ! », Todd : « Mais j’ai pas envie. Vous savez, j’ai eu beaucoup de mal à être Français, et je suis très content d’être Français. » Enfin, le pompon à Dominique Jamet pour son article de Marianne du 14 mai intitulé « Malraux ? Un grand homme ! » La lecture en est recommandée pour constater à quelles extrémités de bêtise peut conduire l’aveuglement de la foi. Jamet conclut par une citation de son héros : « Quand Jeanne d’Arc fut morte, on ne lui reprocha plus de ne pas savoir faire du crochet ». En l’occurrence, sa Jeanne d’Arc-Malraux a donné à croire qu’elle guerroyait, alors qu’en réalité elle ne faisait, et ne savait faire, que du crochet.

Bref, pendant combien de temps encore les chambellans continueront-ils à porter la traîne qui n’existe pas ?

(© jacques haussy - juin 2001)

 

Jacques Haussy est l’auteur de « Malraux Grand homme ? », Gutenberg XXIème siècle, mars 2001