Malraux

MALRAUX : DE L’INDOCHINE AU R.P.F. UNE CONTINUITÉ POLITIQUE DANS L’HISTOIRE, de Geoffrey T. HARRIS, La Revue des Lettres modernes - Minard, André Malraux 5, 1982

 

 
Le mythe d’un Malraux anticolonialiste a la vie dure et paraît devoir être le dernier à s’effondrer, si l’on en croit la lecture de Jean Lacouture, pourtant réputé bon connaisseur de l’histoire de l’Indochine et du nationalisme vietnamien (il a même écrit un ouvrage titré 
Hô Chi Minh (Seuil, 1977)). Ainsi, on pouvait lire sous sa plume dans la Lettre d’information du Ministère de la culture et de la communication n° 89 du 22 octobre 2001, page 16, consultable sur Internet à l’adresse

http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/lettre/89.pdf « …ce qui ne

saurait être mis en doute c’est que … son intervention dans les orages du siècle peut se résumer à trois combats dont aucun ne fut vain : contre le colonialisme, contre le nazisme, contre le stalinisme. »

 

[Ce n’est là qu’une des falsifications de ce texte de commande. On trouve aussi par exemple :
« l’escadrille " España "qui contribue à retarder la défaite de la république Espagnole… », ou :
« [il] prend pour deux ans congé de l’histoire active avant de créer dans les maquis de Dordogne la brigade Alsace-Lorraine qui combat la Wehrmacht devant Strasbourg... »

Ces besognes au service d’une propagande mensongère ne vous honorent pas Monsieur Lacouture.]


Geoffrey T. Harris

Geoffrey T. Harris (ne pas omettre le T : il existe un Geoffrey Harris sans T, il est politologue), Geoffrey T. Harris donc, professeur à l’université de Salford-Manchester, dans l’article indiqué par le titre ci-dessus (ainsi que de façon plus précise dans Malraux et le communisme en Indochine, Actes du colloque de Cérisy la Salle : André Malraux Unité de l’œuvre unité de l’homme, La Documentation française, 1989) montre bien que les écrits « indochinois » de Malraux, à Saigon en 1925, non seulement ne présentent aucun caractère anticolonialiste, mais au contraire visent à défendre les intérêts bien compris des colons et à conforter la présence française. Il montre aussi que les essais postérieurs, La Tentation de l’Occident et D’une jeunesse européenne, témoignent de la même préoccupation et « s’insèrent logiquement en droite ligne dans la pensée colonialiste de Malraux. »Cette pensée est au demeurant conforme à l’admiration vouée à Maurras dans la préface à Mademoiselle Monk (1923). L’engagement gaulliste n’est donc pas une rupture avec un passé qui aurait été « révolutionnaire » : « Dire que l’engagement politique malrucien commence à gauche pour se terminer à droite revient à ne tenir aucun compte, dès les écrits indochinois et les premiers essais, de ce courant de nationalisme instinctif qui sous-tend l’époque du R.P.F. Depuis le colonialisme franchement impérialiste, bien que réformiste, de l’engagement indochinois et les premières ébauches d’un nationalisme émotionnel dans La Tentation de l’Occident, jusqu’à l’engagement passionné aux côtés du général de Gaulle, il n’y a pas de changement de cap politique. Au contraire, on voit un dévouement de plus en plus marqué à une conception essentiellement mythique de la France. »

De plus, contrairement à ce que prétend habituellement la critique, cette politique sous-tend également les romans : « Il est symptomatique que dans ces romans, en dépit d’une toile de fond on ne peut plus radicales, on voit évoluer des bâtisseurs d’empires coloniaux tels que Perken et Ferral ; des chefs révolutionnaires intellectuels et distants tels que Garine, Kyo, Manuel ; et encore plus significatif peut-être, le personnage de Tcheng-Daï dont l’action, nous apprend Malraux, est " au-dessus de la politique, car elle touche l’âme"  ».

G.T. Harris l’indique succinctement ici, mais le démontre de façon détaillée dans sa thèse soutenue en 1984 à l’université de Manchester (« Analyse politique dans les romans de Malraux. De l’Indochine au R.P.F. une continuité politique »), ainsi que dans l’ouvrage « De l’Indochine au R.P.F. une continuité politique Les romans d’André Malraux » (éditions Paratexte, Toronto, 1990), malheureusement très difficile d’accès (il ne figure même pas dans les collections de la BnF - à quand une édition en France dans un format abordable ?).


Janine Mossuz-Lavau

Janine Mossuz-Lavau, politologue, directrice de recherche au CNRS, est une grande malrauxlâtre. Se disant féministe (elle milite pour la parité hommes-femmes en politique), la misogynie extrême de son grand homme ne la rebute pourtant pas. C’est elle qui assure la critique du livre de G.T. Harris dans la RLM 8 (1991). Il avait tout pour lui déplaire, il ne lui a pas plu, et elle conclut son article par : « Autant de parti pris, sous la forme à la fois d’une méconnaissance aussi délibérée de ce qu’est une création artistique, et d’un amalgame de Gaulle-fascisme et Malraux-fascisme aussi sommaire, finit par faire conclure que, s’il est des défis salutaires, celui-là n’est pas vraiment utile. »

Dans sa réponse G.T. Harris n’a aucun mal à montrer sa méconnaissance du nationalisme vietnamien lorsqu’elle écrit : « … personne ne conteste sérieusement qu’André Malraux, lorsqu’il était en Indochine n’a jamais demandé l’indépendance de cette colonie (mais qui la demandait au début des années Vingt ?) » Harris : « …la réponse est simple : les premiers concernés, à savoir les Indochinois dont Lé-thé-Vinh dans L’Indochine enchaînée le 24 décembre 1925 et… Ho Chi Minh. » Tout en se défendant d’avoir accusé « les héros malruciens - et encore moins leur créateur - de " fascistes"  », il répond aux objections de Madame Mossuz-Lavau : « Je n’assimile pas tout individualisme au fascisme. Je constate que dans les romans de Malraux sont privilégiés la virilité du combattant, l’esprit de sacrifice, la recherche d’une mort stylisée et le culte du chef. Si faire massacrer les siens sur un coup de tête c’est lutter pour les droits de l’homme alors oui, Kyo lutte pour les droits de l’homme. »

Geoffrey T. Harris produit une analyse impeccable et implacable de la continuité politique de Malraux et de son penchant pour un état fort et paternaliste. Libre, novateur et rigoureux, il fait ainsi honneur à la recherche universitaire - il est vrai britannique, mais nous verrons prochainement qu’il peut en être de même dans l’université française, quoique trop rarement, avec un professeur qui écrit fort justement : « ce qui définit l’intellectuel (français) c’est sa capacité à se rallier, sa labilité, son génie à convertir l’évanescence en omniprésence. »

© Jacques Haussy, Avril 2005


André Vandegans

C'est André Vandegans qui assure la critique du même texte de Geoffrey T. Harris dans la Revue d'histoire littéraire de la France, PUF, 84ème année, n° 6, nov-déc 1984, p. 988. Consultable sur Internet à l'adresse :

 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56525554/f110.image.r=vandegans .
La malrauxphilie aveugle Mme Mossuz, comme elle aveugle M. Vandegans
, ce qu'il admet : "... interpréter l'adhésion de Malraux au R.P.F. et à la politique du général de Gaulle comme des signes de conversion à une forme de fascisme. C'est à quoi je ne saurais me résoudre."

Il ne comprend pas que G.T. Harris ait pu trouver "énigmatiques", c'est à dire inexpliquables, improbables, les rapports de Malraux avec le Kuomintang, lequel, compte-tenu de "son intention d'appuyer toute lutte pour une Indochine indépendante", ne pouvait en aucun cas être approuvé ou soutenu par Malraux, dont l'opinion était clairement l'assentiment et l'encouragement à l'exploitation économique de la colonie.

S'agissant des textes La Tentation de l'Occident et D'une jeunesse européenne, M. Vandegans "confesse" qu'il en fait une lecture "un peu différente". Cette lecture permet-elle d'expliquer en quoi ils ont connu la faveur de Daudet, Brasillach, Maulnier, Drieu La Rochelle... (voir TH Maulnier) ?

Enfin, il n'admet pas que la préface de "Mademoiselle Monk" de Charles Maurras ne soit pas seulement qu'un texte "de commande", mais bien une adhésion profonde à l'idéologie de son auteur.

Avec de tels parti-pris comment peut-on ambitionner de porter un jugement sur un travail historique ?

© Jacques Haussy, août 2012


Raymond Aron

G.T. Harris a découvert et mis en évidence la continuité politique de Malraux grâce à ses lectures et analyses. Ces travaux sont confortés de façon inattendue par Raymond Aron qui a utilisé des voies plus conventionnelles : l'observation et la déduction. Voilà un extrait de ses Mémoires (Julliard, 1983 - repris par Henri Godard dans L'amitié André Malraux, Gallimard, 2001, pp. 72-73) :

Il lui suffit de se détacher du mouvement révolutionnaire pour devenir disponible, sans crise de conscience. Il ne vécut jamais la conversion des ex-communistes ou ex-maoïstes ; le marxisme ne l'avait jamais subjugué. Il n'eut même pas besoin d'un Cronstadt ou d'un Budapest.

Je suis même tenté de croire que son nationalisme, son gaullisme, furent autrement profonds, authentiques, que son paramarxisme.

juin 2014