Le délire logique, de Paul NOTHOMB, Phébus, 1999

 

 

 

L’historien José Gotovitch, professeur à l’Université libre de Bruxelles, a établi les faits suivants dans son livre Du rouge au tricolore - Les communistes belges de 1939 à 1944 (Labor, Bruxelles, 1992), et l’article De la pudeur à la logorrhée - Le Délire logique de Paul Nothomb (Politique revue de débats n° 16, avril/mai 2000 - rue Coenraets 68, B-1060 Bruxelles) :

 

Paul Nothomb

Né le 7 décembre 1913 dans une famille aristocratique bruxelloise, Paul Nothomb, membre du Parti communiste belge depuis l’âge de 17 ans, fort du prestige acquis en Espagne au côté de Malraux, est responsable de l’appareil militaire du Pcb, les PA (Partisans armés), lorsqu’il est arrêté par la police allemande le 13 mai 1943 et placé en détention à Courtrai. Transféré dans les locaux de la Gestapo à Bruxelles il se dit converti au national-socialisme, donne des noms, et assiste aux interrogatoires afin de convaincre les détenus de cesser toute résistance et de parler. Un billet écrit par une de ces victimes, Annette Cahen, secrétaire du chef du PC, laquelle ne reviendra pas de déportation, signale : « Interrogée 1 seule fois la nuit du 7 au 8/7 [1943] avec intermédiaire de petit Pol, le salaud… » Du 2 juillet au 30 août interviendront 104 arrestations de communistes ou sympathisants. 76 seront déportés, 12 exécutés et 8 mourront en déportation. Après la Libération, Nothomb est arrêté en juin 1945 sur plainte de quelques uns de ceux qu’il avait dénoncés. Les procès ont lieu en 1946 (conseil de guerre et Cour militaire) et il est condamné d’abord à 2 ans de prison, puis 8 ans en appel. Après un court emprisonnement, il part en France.

 

Julien Segnaire

Il prend le nom de Julien Segnaire, et André Malraux l’introduit chez Gallimard qui publiera ses 5 romans, et l’emploie à la documentation d’écrits sur l’art (Tout l’œuvre peint de Léonard de Vinci, et Tout l’œuvre peint de Vermeer de Delft, 1952). En 1948 parait Le Délire Logique, transposition romancée et embellie de cette histoire de conversion en détention d’un communiste au nazisme et de sa collaboration aux arrestations, mais dans laquelle le « héros » est abattu en tentant de s’évader. L’accueil est sévère. Ainsi, Maurice Nadeau écrit dans Les Temps Modernes n° 38 de Novembre 48 : « " L’histoire est vraie" confie naïvement l’auteur. Il n’a pas su la faire prendre pour telle. Qu’un communiste naïf devienne nazi naïf afin d’abuser les naïfs allemands qui ainsi n’inquièteront plus les camarades qui avaient naïvement placé leur confiance en lui, relève de l’absurdité naïve des Contes de la mère l’Oye. C’est évidemment prendre le lecteur pour un naïf acheteur de livres. »

Julien Segnaire se fera ensuite oublier, même s’il sera parfois sollicité pour raconter ses souvenirs - trafiqués - d’Espagne, comme pour le Magazine littéraire d’octobre 1967, ou pour donner son avis - hostile - sur la Résistance. C’est dans cet exercice qu’il sera épinglé par Clara Malraux : « Mais comment un homme, … M. Seignaire [sic], a-t-il pu écrire — déniant ainsi tout sens aux gestes accomplis par Jean Moulin, par Roland Malraux, par Claude Malraux, par d'autres — que de n'intervenir que tardivement dans la Résistance " quand c'était enfin sérieux" , prouvait un vrai discernement ? D'après lui, le maquis avant 1944, avant le débarquement, ne pouvait rien changer au cours des événements qui avaient lieu hors de France. Seules les opérations militaires, à en juger son texte, auraient présenté quelque utilité au temps de l'occupation ? Permettre à des créatures humaines de survivre, à des prisonniers évadés, qui témoignèrent d'initiative, d'intelligence et de courage, de ne pas être repris par l'ennemi, à des enfants de ne pas connaître la souffrance et la mort, participer aux départs vers l'Angleterre ou l'Algérie de techniciens efficaces, aider une population vaincue à ne pas se résigner, la préparer à de nouveaux affrontements, était-ce vraiment faire preuve d'absence de jugement ? Le combat où coule le sang, où déguisé par l'uniforme l'on se heurte les armes à la main, serait-il le seul valable ? Cette idée, triomphe de ce que l'on appelle aujourd'hui le " machisme" , me lève le cœur. » (Et pourtant j’étais libre, Grasset, 1979).

 

Paul Nothomb (le retour)

Et puis il réapparaîtra sous son vrai nom au milieu des années 1980 pour des ouvrages d’éxégèse de la Bible.

Et puis, il deviendra le témoin « officiel » (on le verra à l’Institut Cervantès à Paris cautionné par Florence Malraux et Jorge Semprun) de l’escadrille España, magnifiant ses exploits supposés et son chef admirable. Il exposera ses falsifications dans tous les magazines (la Revue des deux mondes en novembre 1996 par exemple), et on le verra sur tous les plateaux de télévision, chez Bernard Pivot, Ardisson, Philippe Tesson… jusque chez Patrick Rotman qu’on aurait cru plus avisé.

Et puis, ce sera cette réédition du Délire logique, flanquée d’une Note de l’éditeur Jean-Pierre Sicre qui trouve que les « juges-blanchisseurs » l’ont traité de « la plus scandaleuse des façons », et d’une postface dans laquelle Nothomb pose en victime de « la justice bourgeoise ». L’accueil médiatique sera cette fois flatteur, par les chambellans, porteurs habituels des habits neufs de Malraux-Nothomb, unis dans le soutien réciproque : Laurent Lemire au nouvel Observateur, Jean Belot à Télérama (« …la plupart des membres du réseau sont sauvés… » !) , André Rolin au Canard enchainé… Dans Le Monde toutefois, Laurent Douzou, reconnaît que le récit éveille le malaise…

 

Paul Nothomb est mort le 27 février dernier. Il est à espérer que les vrais historiens vont enfin pouvoir faire entendre leur voix...

 

 

 

© Jacques Haussy, mars 2006