Panthéon, de Yann Moix, Grasset, 2006

 

 

Le livre (voir Moix) est fort divertissant. Qu'on en juge avec les extraits suivants :

 

 

Malraux n'a jamais été écrivain : c'était un gendarme. Il ennuyait les gens avec sa mythomèche et ses exclamations tremblées. Il était l'épave de son exubérance. A la fin il bêlait. Il mélangeait les Étrusques avec Heidegger, les Khmers et Le Manège enchanté, rien que pour voir. Il secouait ses gestes comme un barman halluciné. Mais c'était lui le shaker. En « réalité ».

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...ce godillot chiendent cabot, le dernier mot a fini par l'avoir, le Malraux vieux, grabaterre, taire à taire en fin tu à tu, à tu et à toi avec toutes les saloperies qui grouillent sous les dalles imbougeables des monuments dressés pour que la mort et le sommeil soient confondus dans l'imposture, les honneurs, l'histoire officielle et les dépouilles qui crânent.

- Monsieur le Président, que pensez-vous d'André Malraux?

- Mon cher Moix... C'est assez simple... Ayant ouvert La Voie royale, le livre m'est tombé des mains. Une piété persistante m'a fait oublier ce mouvement d'humeur, comme elle a estompé l'accablement causé par Le Musée imaginaire, la stupeur tirée des Antimémoires, l'ennui distillé par Ces chênes qu'on abat. Après tout, Barrés, son maître, comme il l'est d'Aragon, n'a pas davantage économisé les livres inutiles.

- Je pense comme vous, Sire. Oh. Toutoutout comme vous.

- Je me demande (reprend le Président) si Malraux n'appartient pas à cette lignée d'écrivains dont le génie s'exprime tout entier dans la conversation et se dissipe dans l'écriture.

- Aaarghhhh... Monseigneur Président : je vais jouir.

- Le personnage a éclipsé l'œuvre ; on n'a plus remarqué que lui et on les a pris l'un pour l'autre. Regrettable quiproquo.

- Éjaculation (voir figure 2).

Adultisme

Tiqueux tiquard Malraux saoul, fol de coke, ivre de lui, de l'intégrale de lui, ses aphorismes rococo. Ses phrases à dicos : dites écrites pour plus tard à l'école, à placer dans les rococopies pour plaire à des profs. Ses doigts longs comme des pinces, crabissisme malrucien Malraux : ses doigts de crabe arpentant, avec des hoquets bantous, son visage secoucouhé. Ratatatatatatiné Malraux formol épique, le fayot du Général imbécile dans son ordinaire posture ajoufflue, uniformeuse : herbeuse. Il est là dans le Panthéon de la France géniale, reconnaissante et républicaine : il est là, hoquet historique, mythomanie d'État... Secrets d'État de Polichinelle.

Le très-drame d'André, c'est son adultisme. Son adulterie. Son adultité. Son adultéité. Son adultition. Personne n'a jamais été plus adulte, ni moins enfant. Cigarettes adultes, romans « adultes », préoccupations de politicard, gravité sérieux « profondeur » adultes. Cette prose platissime adultissime : cet écrivain pour « grandes personnes », pour « entre gens sérieux », pour « nous sommes entre hommes », pour « d'homme à homme » me fait vomir le testicule. Prose pour virils à clopes et concours de longueurs de queues. On joue aux cartes on fume et sueur : cul peloté de servante ou de bonniche (au passage). Et : zéro virgule zéro humour. Zéro légèreté zéro (virgule zéro) originalité. Malraux, ho ! le zéroriginal. Zéro gaieté. Clope et morphine et alcool fort, discours et dossiers : avions cravates et lunettes. Uniformes... Tenues. De galas et de guerres. Queues de pie. Visites chez des darnes... Gigolo a béguins cafardeux : coussins salons cheminées chats, hivers et flatulences, beaux livres et fleurs et chaussons : chaussés.

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Le 19 décembre 1964, M. André Malraux, fayofficiel de la République bananogaullienne, monte à la tribune ; il y a du vent et il fait froid. Malraux, cocaïné à mort, est, comme à son habitude, bourré de tics. On dirait un vieux cachalot épileptique. Lui, l'ancien farfelu amateur de statuettes, est désormais un baragouineur cacochyme qui n'est plus tellement dans le vent de quoi que ce soit - ce vent d'hiver 64 est comme une résurrection inespérée pour sa réputation. On le voit encore, c'est vrai, à la télé, pistonné par lui-même, s'octroyer des heures et des heures d'antenne ou, se raclant la gorge et clignant ses yeux exorbités de hotu torturé, il s'avance dans les eaux troubles de sa pensée en donnant des avis autorisés sur les Aztèques, les Mayas ou Jésus-Christ.

Tout le monde a glosé sur ce « fameux discours » de décembre 64 du transfert des cendres de Jean Moulin ; tout le monde a pleuré ; tout le monde a été ému aux larmes en voyant, ou revoyant, en entendant, en écoutant ou réécoutant ce vieux machin dérouler ses phrases interminables comme dans un amphithéâtre grec, modulant sa voix rauque et expectorant, charognard, roublard et mytho, des « effets » aussi sincères que ma main dans la culotte d'une vieille tante.

Faussement ému, s'écoutant lui-même gémir, geindre et chialouser au vent glacial, il n'en a en réalité rien à branler de Jean Moulin, qu'il a dû croiser une fois par hasard comme on croiserait sa prof de maths de 1982 à Auchan en revenant exceptionnellement dans sa ville natale.

Quand on lit tranquillement l'élucubration solennelle de Dédé, on voit très clair dans son jeu : de Gaulle, une fois de plus, a utilisé les services de cet indéfectible cafard aux paradigmes imbitables et aux fulgurances mongoliennes pour se : panthéoniser lui-même de son : vivant.

Au moins, Mitterrand a été plus franc du collier : il est entré lui-même dans la crypte; il n'a pas utilisé le corps supplicié d'un vrai martyr pour pénétrer en contrebande dans la gloire éternelle - le tout adoubé, entériné, par le lyrisme bêta et CM 2 de son flagorneur attitré. Jean Moulin a été torturé deux fois : la première, par Klaus Barbie à la prison de Montluc, la seconde, rue Soufflot, par André Malraux. Le supplice sur les corps est un enfer; celui sur les âmes est un enfer au carré. Mieux vaut cracher sur la mémoire des morts, et sur la cendre des martyrs, plutôt que de s'offrir sur le dos un supplément marketing de gloriole politique. Jean Moulin n'a pas parlé, mais Malraux, lui, parle un peu trop. C'est plus fort que lui : il ne peut pas résister.

La première chose qui débecte, dans le discours foireux et condescendant d'André, c'est qu'au bout de trente secondes à peine, il ne peut s'empêcher de parler de sa gueule, il ne peut s'empêcher de dire «je » :

Le sentiment profond, organique, millénaire, qui a pris depuis son accent de légende, voici comment je l'ai rencontré.

La deuxième chose qui frappe, la deuxième chose qui lui-, qui fait de la peine, c'est qu'il ne parle que de De Gaulle... A gerber...

 

 

Jacques Haussy, février 2008