ENTRER
AU PANTHÉON ET EN SORTIR
Le
2
avril 1791 au matin est mort à
l’âge
de
42 ans le ci-devant comte Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau à
son
domicile parisien (emplacement
du
42 rue de la Chaussée d’Antin actuel
-
une
plaque a été posée sur la façade à la hauteur du 2ème étage).
Il avait été un des acteurs principaux de la première phase de la
Révolution, celle
qui
s’est
terminée le 10 août 1792, date où,
selon le mot de Chateaubriand, « Les
sabots
[ont]
heurt[é]
à la porte [des
gens
à souliers]. »
Il
était
député élu
du
Tiers État de la Provence aux États-Généraux de 1789, devenus
ensuite
Assemblée
nationale constituante.
Ses
talents d’orateur, à
cette
Assemblée nationale, au District
de Paris dont il était membre du Directoire, et au Club
des
jacobins,
lui
avaient fait acquérir une popularité considérable.
Le
jeune
marquis
de Dreux-Brézé était
venu
en
la
salle du Jeu de Paume de Versailles le
23
juin 1789
demander au nom du Roi la fin des États-Généraux
et
la séparation des députés.
Quelques
jours
plus tôt ils s’étaient
en
effet constitués
en
Assemblée
constituante et avaient
fait
serment de ne pas se séparer.
La
réponse du
député
d’Aix est
légendaire :
« …
je vous déclare que si l’on vous a chargé de nous
faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour
employer la
force ; car nous n’en
sortirons
que par la puissance des baïonnettes. »
La
« colique hépatique » dont il souffrait depuis
plusieurs
semaines ayant paru suspecte à sa sœur Caroline - Madame du
Saillant – une autopsie pour rechercher la présence éventuelle
de
poison a été demandée. Elle a été effectuée dès l’après-midi
du
2.
Et puis s’est posée la question de l’inhumation. Où ?
Comment ? Le ci-devant duc de La Rochefoucauld suggéra
de transformer l’église monumentale
de
l’abbaye Sainte-Geneviève, qui venait
d’être achevée, en Panthéon destiné à recevoir les grands
hommes pour leur marquer la reconnaissance de la patrie, et
d’y
accueillir d’abord Mirabeau.
L’idée
n’était pas nouvelle et avait déjà été appliquée en
Angleterre, à l’abbaye de Westminster.
Elle
fut
adoptée sur le champ le
4
avril par
le
District de Paris, où
Gabriel
avait
échoué
récemment
dans sa candidature au poste de procureur syndic, remporté par
le
ci-devant marquis de Pastoret, soutenu par La Fayette, devenu
un de
ses rivaux.
Les funérailles dès le même
4
avril ont été
grandioses
et suivies dit-on par 300 000 personnes.
Le
vénal
Mirabeau
avait accumulé des dettes fort importantes. Alors qu’il n’avait
pour seule source de revenu que sa plume, son train de vie était
très élevé - quelques jours avant sa mort il faisait encore appel
à deux filles inscrites à l’Almanach des adresses des
demoiselles de Paris à 5 louis chacune pour la nuit.
Ici
il faut donner des précisions monétaires, elles vont être utiles.
Un louis valait 20 livres, une livre 20 sols, et un sol 12 deniers.
Pour la conversion en euros d’aujourd’hui un ordre de grandeur
peut être fourni : 1 livre 1790 = 30 F 1900 = 5 € 2018. Un
« manouvrier » gagnait 20 sols par jour, donc
l’équivalent de 5 €. Une miche de pain (1 kilo environ) coûtait
selon les périodes entre 5 et 25 sols.
Lorsque
le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche, et le comte
Auguste de La Marck, prince d’Arenberg, député de la noblesse du
Quesnoy (il était gros propriétaire
terrien en Hainaut, avec des sous-sols contenant de l’or : du
charbon !), lui ont proposé d’être conseiller occulte de la Cour
il a
accepté d’enthousiasme. En contrepartie on lui offrait d’éteindre
ses dettes à raison de 25 000 livres par mois jusqu’à
208 000 livres, plus une indemnité mensuelle de 6 300
livres, plus quatre traites de 250 000 livres qui devaient être
remises à la fin de la session législative prévue le 5 mai 1791,
« sous réserve que l’on soit satisfait de ses services ».
En fait ces traites lui seront données tout de suite et à sa mort
il en avait déjà encaissé une. L’accord secret est signé début
mai 1790. Il sera respecté par Mirabeau qui, outre un entretien
privé le 3 juillet à Saint-Cloud avec Marie-Antoinette, rédigera
49 Notes à la Cour du 10 mai 1790 au 17 février 1791. La
première commence par « Je m’engage à servir de toute
mon influence les véritables intérêts du Roi... » Toutes
ces Notes sont secrètes, mais ses interventions à
l’Assemblée, notamment les 20, 21 et 22 mai à propos de qui doit
disposer du droit de faire la guerre - la Nation ou le Roi ? -
feront douter de son engagement envers la Révolution, et un pamphlet,
La Grande Trahison du Comte de
Mirabeau circule. Les attaques
et les rumeurs ne terniront toutefois pas son image au point, comme
on l’a vu, d’empêcher la panthéonisation.
Mais,
un coffre (une « armoire de fer ») derrière un lambris
sera découvert aux Tuileries le 13 novembre 1792. Il contenait des
documents compromettants pour le Roi, dont les preuves de la
collusion de Mirabeau avec la Cour. Le 27 novembre les députés
décideront de retirer du Panthéon la dépouille du député d’Aix.
Celle-ci sera jetée à la fosse commune, cimetière de Clamart,
située au sud de la rue du Fer-à-Moulin actuelle (Paris XIII).
*
Premier
reçu au Panthéon et premier exclu, décidément Mirabeau fut un
innovateur. D’autres que lui y ont été conduits dès leur mort,
le plus illustre étant Victor Hugo (22 mai 1885/1er
juin). Mais, s’agissant de la sortie, il n’a pas fait école. On
peut citer toutefois Marat et Le Peletier, en même temps entrés le
21 septembre 1794 et sortis le 26 février 1795. La leçon de cet
épisode Mirabeau est donc que l’exclusion du Panthéon est
possible, en cas d’entrée prématurée ou mal réfléchie, ou
lorsqu’elle est le résultat de motivations politiques sujettes à
revirement, ou dans l’ignorance de faits honteux dissimulés jusque
là….
©
Jacques Haussy, avril 2018
Jean-Paul
Marat a fait lui aussi une entrée-sortie au Panthéon en 1794-95.
Olivier Coquard, son biographe (Fayard, 1993), fournit (p. 93) les
tarifs vers 1780 des médecins parisiens les plus réputés : de
trois à six livres par visite et de six à douze livres par
consultation. Marat, situé dans l’élite de la médecine
parisienne, réclamait jusqu’à 24 livres.
juillet 2018
Marat écrit de Mirabeau dans L'Ami du peuple du 10 août 1790
: «Qu'attendre d'un homme sans principes, sans mœurs, sans honneur?
Le
voici devenu l'âme des gangrenés et des ministériels, l'âme des
conjurés et des conspirateurs.» Et encore : «... ce hideux Protée qui ne brigua
l'honneur de devenir l'un de vos représentants que pour vendre vos
intérêts au despote.»
août 2019
Ajoutons
que M. Lever ne s’est pas fatigué. Cet extrait est une copie mot
pour mot du livre de Louis
François Armand DuPlessis de Richelieu
Mémoires
pour servir à l'histoire des cours de Louis XIV,…
(1791).
août 2020